La bataille va se jouer sur les indécis : ceux qui hésitent jusqu’à la dernière minute entre Kamala Harris et Donald Trump. Étonnant d’ailleurs d’hésiter entre deux candidats aussi différents. On se souvent de la candidature du slogan du parti communiste lors de l’élection de 1969 qualifiant les deux candidats de « bonnet blanc – blanc bonnet » pour signifier qu’il n’y avait que l’épaisseur du trait entre les deux candidats. Ou encore de la couverture du magazine The Economist qui qualifiait Donald Trump et Boris Johnson respectivement de Twitterdum et Twaddledee (voir encadré ci-dessous). Mais entre Kamala Harris et Donald Trump, c’est plutôt la carpe et le lapin. Comment peut-on hésiter entre les deux ? Soit.
Les indécis regardent-ils Fox News ? C’est peu probable. Mais aller sur la chaîne de l’ultradroite de Rupert Murdoch poursuit un autre objectif : celui de montrer aux commentateurs de tous poils que la candidate démocrate ne craint pas d’aller en terrain adverse. Et les commentateurs patentés et occasionnels des réseaux sociaux sont nombreux.
Mais y aller ne suffit pas, il faut aussi réaliser une performance a minima correcte et sans faute notable qui sera reprise en boucle. Ce qui n’est pas chose facile en étant face à Brett Baier. Qu’il pose les questions difficiles, c’est son métier et son obligation et c’est souhaitable. Il ne s’en est pas privé. Qu’il l’interrompe en permanence avec comme objectifs de lui faire perdre le fil ou sortir de ses gonds, c’est plus discutable. Mais est pris en flagrant délit de mauvaise foi, là c’est en contradiction totale avec la déontologie. L’exemple le plus marquant a été celui où il utilise un passage d’une interview sur sa propre chaîne qui ne reprend pas les arguments cités dans son propos.
Le journaliste lui demande pourquoi affirmer que Donald Trump est une menace pour la démocratie alors qu’il ne menace personne. Et de présenter alors un extrait de l’interview de Donald Trump sur Fox totalement différent des interventions dans lesquelles il indique clairement vouloir faire appel à la Garde nationale, voir à l’armée pour mater les « radical left lunatics ».
Et pas besoin de cherche dans les archives d’il y a plusieurs années. Dans le town hall meeting à laquelle il participait le même jour, il persistait et signait : “It is the enemy from within, and they are very dangerous; they are Marxists and communists and fascists and they’re sick (…) They’re the ones doing the threatening,” expliquait alors Donald Trump. “They do phony investigations. I’ve been investigated more than Alphonse Capone was.”
La réponse de Kamala Harris ne s’est pas fait attendre :
“With all due respect, that clip was not what he has been saying about the enemy within,” Harris said, with her volume rising. You and I both know that he has talked about turning the American military on the American people, he has talked about going after people who are engaged in peaceful protest,” Harris said. “He has talked about locking people up because they disagree with him. This is a democracy and in a democracy, the president of the United States, in the United States of America, should be willing to be able to handle criticism without saying he would lock people up for doing it.”
L’interview a largement porté sur l’immigration, car c’est clairement sur ce point que va se jouer l’élection ? C’est le thème central que va marteler Trump jusqu’à la fin de la campagne avec non pas l’inflation (car elle est revenue à un niveau acceptable) mais sur les prix des denrées qui se sont stabilisés mais ne sont pas revenus à leur niveau d’avant le déclenchement du phénomène.
Concernant l’immigration, Brett Baier a utilisé une méthode contre laquelle il est difficile de lutter : l’utilisation de cas particuliers. En demandant à Kamala Harris si elle présenterait des excuses aux familles des femmes tuées par des immigrants sans papiers. Avec document à l’appui, une vidéo d’une femme accusant l’administration Biden d’être responsable de la mort de sa fille. Répondre à une tragédie individuelle en défendant des décisions politiques est une tâche très difficile, voire impossible.
Quel avantage politique va-t-elle tirer de cette interview en terre ennemie ? Difficile, voire impossible à dire. Ses adversaires pourront difficilement utiliser l’argument qu’elle n’en est pas capable. Seront-ils en mal de trouver des faiblesses, des manques, des ratés, des incongruités ? Sûrement pas. D’ailleurs, J.D. Vance a déjà le service après-vente pour son patron sur la même chaîne Fox News.
Twitterdum et Twaddledee
Ces pseudonymes sont un jeu de mots sur, respectivement, Tweedledum et Tweedledee dont le sens et l’étymologie sont exposés ci-après. Twitterdum se compose de Twitter, allusion à la méthode que Trump utilise pour communiquer ses orientations, et dum, mot qui se prononce comme dumb dont le b final est muet. Les deux composants de Twitterdum sont aisément attribués à Trump. Quant à Twaddle, cela signifie bêtises, âneries, alors que dee n’a pas de signification particulière. Johnson est souvent accusé de parler Twaddle, c’est-à-dire de débiter des âneries (ou pire encore), qui sont souvent déguisées dans un langage grandiloquent.
Autrement dit, The Economist a transposé et actualisé le traditionnel duo de patronymes popularisé par l’écrivain anglais irlandais, Lewis Carroll.