Ecrit avant le débat en début de semaine
On le sait, les débats changent rarement le résultat d’une élection. De plus, c’est très difficile à mesurer et d’ailleurs comment le mesurer. Tous les commentateurs citent régulièrement le premier débat télévisé entre John Kennedy et Richard Nixon (Scholarly Analysis of the KennedyNixon Debates). Le premier, très à l’aise face à la caméra, jeune et plutôt télégénique, le second, assez crispé, transpirant et ne sachant pas vraiment comment s’exprimer aux téléspectateurs. Ce débat avait sans doute eu un impact d’autant que le résultat avait été extrêmement serré. Son impact est aussi lié à la proportion extrêmement élevée des foyers américains qui l’avaient regardé, environ 60 %. Le paysage audiovisuel était évidemment bien différent de celui qu’on connaît aujourd’hui avec une domination des trois networks (NBC, ABC et CBS). Mais revenons à notre débat du jour, celui entre le président en exercice et l’ex-président. Une confrontation qui n’est arrivée qu’une seule fois entre Grover Cleveland et Benjamin Harrison. Le premier est élu en 1884, le second en 1888 battant le premier. Et en 1892, Grover Cleveland prend sa revanche en 1892 et prend sa revanche en battant Benjamin Harrison
Après le débat
Les références historiques ne serviront pas à grand-chose pour analyser ce débat qui pose une question fondamentale : Joe Biden peut-il encore démentir cette impression de fragilité incompatible avec la fonction qu’il veut assumer à partir du 20 janvier 2025 ? Doit-il laisser sa place à un autre qui pourrait mieux jouer ce rôle de protection de la démocratie ?
Ce débat a été pénible à regarder. Le début particulièrement avec un propos introductif bien laborieux de Joe Biden : “What I’ve been able to do with the, with, with the Covid – excuse me, with dealing with everything we have to do with.” Et après moult hésitations, il concluait avec un surprenant : “We finally beat Medicare.” Une « unforced error » s’il s’agissait d’un match de tennis. Donald Trump en en profitant assez largement : “Well, he’s right. He did beat Medicare. He beat it to death.”
Full Debate: Biden and Trump in the First 2024 Presidential Debate
Pour prendre une autre analogie sportive, le match n’était pas équitable, car Donald Trump boxait en dessous de la ceinture. Ce qui ne surprendra personne, mais cette pratique à laquelle on est pourtant habitué a été assez efficace. Insultes, mensonges, hyperboles, démesures, réponses à côté des questions, bref un discours n’ayant aucun rapport avec la réalité. Cela même de manière incongrue et mensongère lorsqu’il fait référence à ses performances au golf. Cela a été parfaitement documenté.
La question n’est pas de savoir qui a mieux été à même de définir son projet pour les quatre années à venir ni à expliciter les politiques à mettre en œuvre. Pour Donald Trump, il s’agissait de faire du Donald Trump et à montrer que, lui seul peut sauver le pays et Make America Great Again. “I alone can fix it” est son seul programme politique. C’est le même que tout autocrate où se confondent la personne et la fonction,
Sur le plan du contenu, à la fois bilan de chacun des mandats respectifs, et des projets, l’avantage est à Joe Biden même s’il n’a pas réussi à le détailler de manière très probante. La forme même du débat a clairement desservi Joe Biden. Donald Trump ne se croit en aucune manière obligé de répondre à quelque question que ce soit, et se permet en revanche de se répandre en propos, parfois incohérents, souvent teintés de démesure, sans que, à aucun moment, il soit confronté à la réalité des faits. Joe Biden, accablé par le torrent d’insultes et de mensonges de son adversaire, semblait incapable d’apporter une réponse adéquate.
Bref, 90 minutes très difficiles pour le président candidat. De telle sorte que sur CNN, à peine le débat terminé, John King, premier intervenant du panel de commentateurs politiques de la chaîne organisatrice du débat, ne s’attardait pas à analyser le débat, mais à poser la question de fond : Joe Biden doit-il céder la place à un autre candidat démocrate ? Et comme souvent, poser la question, c’est déjà apporter la réponse. Van Jones, ancien conseiller de Barack Obama, ne cachait son désarroi et faisait la synthèse du débat : “A con man versus an old man”.
Peu après, la presse reprenait en chœur. Certains se contentant de poser la question, d’autres en y répondant sans appel proposant même des idées de candidats potentiels.
Depuis, la discussion est engagée sur ces termes. Dans « sa très grande sagesse », le New York Times a pris clairement position : S’il veut servir son pays, Joe Biden doit quitter la course (To Serve His Country, President Biden Should Leave the Race). La réponse est autrement plus délicate. Comment Joe Biden peut-il jeter l’éponge sans paraître se renier et pouvoir sortir de cette crise avec les honneurs et sans être voué aux gémonies de la vindicte populaire ? Quel candidat choisir et comment le choisir ? N’est-il pas trop tard ?
Les journalistes et les commentateurs politiques ne surréagissent-ils pas un peu trop ? on pourra affirmer que n’est qu’un débat, une mauvaise performance d’un jour qui ne remet pas en cause la capacité de Joe Biden à diriger le pays. Pour accréditer cette thèse, il suffit d’observer la prestation du président le lendemain même dans un meeting de campagne en Caroline du Nord. Il semblait être un autre homme, allant même jusqu’à une certaine autodérision.
“I know I’m not a young man,” il a déclaré ajoutant, “I don’t speak as smoothly as I used to.”
De son côté, Donald Trump, profitait de la perception partagée par beaucoup d’Américains : “Joe Biden’s problem is not his age”, déclarait-il le lendemain dans un meeting à Chesapeake (Virginie), “it’s his competence”. La stratégie n’est pas mauvaise : ne pas utiliser un argument déjà acquis pour semer le doute sur un autre.
Biden speaks at campaign rally in North Carolina following debate
Mais le mal n’a-t-il pas été fait et le doute ne s’est-il pas installé. Si Joe Biden se maintient dans la course, il devra essayer d’effacer cette contre-performance. Le pourra-t-il ? En tous cas, la réaction ne s’est pas fait attendre. Selon un sondage de Morning Consult réalisé après le débat, 60 % des Américains déclarent que Joe Biden devrait definitely ou probably être remplacé par un autre candidat. Quant à juger sur la performance de chacun des deux protagonistes : 57 % des Américains considèrent que Donald Trump a surpassé son opposant : 19 % des démocrates, 60 des indépendants et 93 % des républicains. Mais en fait, Donald Trump n’a-t-il pas été seulement capable d’envelopper des propos incohérents ou avec une assurance qui le caractérise ?
Pour en retourner aux faits, ce débat que l’on présentait comme la confrontation du siècle n’a pas atteint ses objectifs. Il n’a attiré qu’un peu plus de 50 millions de téléspectateurs, un niveau relativement faible dans l’histoire des débats.
Et au-delà de la forme, les idées parfois les plus extrêmes que véhicule Donald Trump résonnent dans le cerveau d’une partie importante des Américains. Par exemple, sur l’immigration. Par exemple, la moitié d’entre eux – dont 42 % des démocrates – soutiennent les déportations de masse des immigrants illégaux. Plus des deux tiers des Américains pensent que l’immigration illégale est un réel problème. Ce qui en soi, n’est pas choquant, ce qui peut l’être sont les réponses qui y sont apportées. Tout cela joue en faveur du candidat républicain alors qu’il a torpillé une loi bipartisane présentée comme l’une des plus dures jamais élaborée.
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