« Le fait que McCarthy n’ait jamais tenté d’organiser un mouvement d’opinion avec un parti, un programme et des candidats rend difficiles les études d’opinion. Certes on sait que jusqu’à 50 % des Américain étaient favorables à son action (en janvier 1954 selon l’institut Gallup). Même si ce chiffre est un maximum et tourne en général autour de 35 %, ce n’est pas négligeable. Mais qui étaient-ils et pourquoi le soutenaient-ils ?
Le maccarthysme a souvent été analysé comme un mouvement populaire dirigé contre l’élite, l’anti-communisme n’ayant été que l’alibi passionnel d’une « droite radicale » issue des basses couches de la population qui aurait contraint à la chasse aux sorcières les responsables du pays.
C’est le fondement sous-jacent des études regroupées par Daniel Bell dans The radical right. Les petites gens « plus bourgeois que la bourgeoisie (Viereck, in Bell (1970), p. 138) qui étaient maccarthystes l’auraient été non point tant par peur de l’URSS que dans un mouvement de réaction irrationnel face aux changements sociaux des décennies précédentes qui en auraient fait des dépossédés » (Bell, pp. 1-38) et qui les auraient conduits à se dresser contre les détenteurs du pouvoir, ceux qui ont l’éducation ou la fortune.
Un démagogue comme McCarthy a ainsi pu manipuler les tendances autoritaires qu’a cru déceler S.M. Lipset chez les ouvriers (Lipset (1959), pp. 97-130) et celui-ci note que les partisans de McCarthy se recrutaient d’abord parmi les catholiques, les habitants de la Nouvelle Angleterre, les Républicains, les moins éduqués, les classes inférieures, les travailleurs manuels, les fermiers, les gens âgés et les Irlandais (Lipset (1970), pp. 224-225).
Au total, c’est un mouvement radical qui essaye de renverser une vieille classe dirigeante et de la remplacer par une nouvelle classe dirigeante qui vient d’en bas (Viereck, in Bell (1970), p. 150). Cependant, et sans nier que ces éléments aient leur va- leur explicative, Nelson Polsby a démontré de façon probante que l’élément qui rendait le mieux compte de l’acceptation du maccarthysme était l’affiliation partisane : plus la personne interrogée était Républicaine convaincue, plus elle était favorable au maccarthysme ; plus elle était démocrate, plus elle y était opposée. Le soutien de McCarthy proviendrait donc pour l’essentiel de son image de Républicains attaquant les Démocrates ».
Ce texte est extrait du livre La Chasse aux Sorcières de Marie-France Toinet, chargée de recherche à la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Ce livre a été publié en 1984.
Si l’on remplace McCarthy par Trump et maccarthysme par trumpisme, on retrouve à trois-quart de siècle d’écart le même phénomène. Le paroxysme du maccarthysme s’étend de 1950, date du fameux discours du sénateur du Wisconsin à décembre 1954, date à laquelle il est censuré par un vote du Sénat de 69 contre 23. Mais pour la spécialiste des Etats-Unis, cette période troublée s’étend sur une période plus large, de 1947 à 1957.
« Mais si l’on considère que le décret présidentiel signé par Harry Truman en mars 1947 marque le début d’une répression politique de grande ampleur, la perspective devient totalement différente : ce sont les Démocrates qui ont voulu cette croisade pour montrer leur volonté de s’opposer nettement au communisme soviétique et à son avatar national, cherchant ainsi à couper l’herbe sous le pied à l’opposition républicaine en s’emparant de son thème favori, l’anticommunisme. Dès lors, les Démocrates ne sont pas des victimes innocentes mais les apprentis- sorciers qui tombent dans le piège qu’ils ont eux-mêmes façonné.
Entre 1946 et 1956, on dénombre quelque 12 000 démissions dans la fonction publique, 40 000 fonctionnaires fédéraux qui font l’objet d’une enquête approfondie par le FBI, des dizaines de personnes condamnées pour outrage au Congrès, plus d’une centaine de responsables syndicaux purgés ou condamnés pour faux témoignage, 13 millions de salariés dont le dossier est vérifié par le FBI.
Cette sombre période se termine donc dans les années 1956/57.
Trump n’est pas McCarthy. Alors que ce dernier n’était qu’un obscur sénateur, Donald Trump était déjà largement connu des Américains lorsqu’il est descendu de l’escalier mécanique en juin 2015 pour présenter sa candidature aux élections présidentielles. McCarthy n’est resté que Sénateur du Wisconsin alors que Donald Trump a été élu président des Etats-Unis. Tous deux partagent la même destinée : le premier a été censuré par le Sénat le 2 décembre 1954, le second par les électeurs américains le 3 novembre 2020.
Donald Trump a tenté de réaffirmer sa domination en insistant dans au moins cinq interviews sur le fait qu’il chercherait à se « venger » des démocrates pour l’avoir poursuivi, et les loyalistes de MAGA ont fait écho à cette menace. S’il était réélu, il aurait alors le pouvoir de mettre ce programme en œuvre.