Le 5 janvier 2020, la Géorgie porte au Sénat Raphael Warnock, premier Noir de l’État à être élu au Sénat des Etats-Unis et deuxième du Sud depuis la période de la Reconstruction. Le soir de son élection, Raphael Warnock présentait sa mère de 82 ans dont les mains avaient travaillé dans les champs de coton. L’espoir était donc permis.
Le lendemain, le 6 janvier, des milliers d’Américains de l’ultra-droite envahissaient le Capitole pour inverser le résultat des élections. C’était donc la douche froide pour la démocratie américaine.
Dans leur ouvrage intitulé How democracies Die et publié en 2018, Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, professeur de sciences politiques à l’Université de Harvard condamnaient les républicains pour avoir failli à stopper l’ascension de Donald Trump qui l’avaient conduit à être élu e, 2016 dans les conditions que l’on sait. Il faut se rappeler que, encore quelques semaines avant les élections, de nombreuses voix s’élevaient toujours contre le choix du candidat Trump dans les primaires. Certains pensaient pouvoir bénéficier des mesures annoncées par le candidat – notamment la nomination de juges à la Cour Suprême et l’invalidation de l’arrêt Roe v. Wade sur la légalité du droit à l’IVG – tout en espérant le contrôler. Mais à cette date, les deux auteurs n’avaient pas considéré ou appelé le parti républicain un parti autoritaire. « Nous ne nous attendions pas à ce que ce parti se transforme aussi rapidement et radicalement », expliquent-ils dans un éditorial du New York Times (The Authors of ‘How Democracies Die’ Overestimated the Republicans).
Dans leur dernier ouvrage, Tyranny of the Minority, les deux auteurs essayent de montrer comment la démocratie américaine s’est ternie aussi rapidement. Le livre place la transition contemporaine de l’Amérique vers une démocratie multiraciale dans une perspective comparative et historique, et montre les vulnérabilités distinctives de l’ordre constitutionnel américain.
La diversité sociétale, le contrecoup culturel à la poussée démographique et la montée des extrêmes-droites est un phénomène partagé par toutes les démocraties occidentales. Mais dans ces démocraties, les Etats-Unis sont le seul pays où un président battu aux élections a tenté un coup d’état. Car la tentative de renverser le résultat des élections entre le 3 novembre 2020 au soir où Donald Trump a prononcé un discours indiquant qu’il avait gagné les élections avant même que les résultats ne soient connus et le 6 janvier avec l’assaut du Capitole pour empêcher que ne soient certifiées les voix des grands électeurs est bel et bien une tentative de coup d’état. Dont la mise en cause par le système judiciaire est en cours avec plusieurs inculpations mais n’est pas achevé. Les Etats-Unis sont également le seul pays au monde où un candidat inculpé à toutes les chances de remporté les primaires de son parti et en capacité de gagner les élections générales. La contamination du GOP par Donald Trump est quasi-totale.
Qu’on en juge, au premier débat des primaires républicaines fut posé la question : « Vous avez tous signé un engagement de soutenir le candidat qui gagnera les primaires républicaines. Si l’ex-président est condamné par un tribunal, le soutiendrez-vous toujours comme le choix de votre parti ? Levez-la main ».
Six candidats sur huit ont levé la main.
N’est-ce pas tout à fait extraordinaire et ne pas s’en étonné n’est pas normal.
Les Etats-Unis qui mettent en avant the Rule of Law et le systèmes des Checks and Balance se trouvent désormais dans la position du « vilain petit canard » des démocraties. Pourquoi une telle évolution. Les deux professeurs expliquent que l’une des raisons réside dans la Constitution, le document sacré qui est censé prémunir la jeune nation d’un dérèglement autoritaire. Conçu à une époque prédémocratique – en 1789, les Etats-Unis peuvent être considéré comme la première démocratie – « la Constitution américaine permet à une minorité partisane d’entraver la majorité, voire de la gouverner » écrivent-ils. Alexis de Tocqueville avait disserté sur les dangers de la tyrannie de la majorité. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont donc tombés dans le piège inverse où c’est la minorité – ici les républicains – qui se voit exclus du pouvoir qui tente de le conserver par tous les moyens légaux et moins légaux.
Les républicains ont gagné le vote populaire une seule fois sur les huit dernières élections présidentielles. Ce fut en 2004, où George Bush avait réussi à capter 50,7 % des voies populaires. Mais cette légère majorité ne fut obtenue que grâce à l’effet drapeau de la guerre en Irak.
Le système électoral favorise dangereusement le parti républicain : Président, Sénat, Chambre des représentants et par voie de conséquence Cour Suprême (Le président nomme des Juges de la Cour Suprême). Donc les trois branches du gouvernement qui sont censées faire poids et contrepoids se consolident mutuellement. Fort de cet avantage, la Cour Suprême a rendu plus difficile le vote de certaines minorités. Et les majorités républicaines renforcent leur emprise avec des actions de Gerrymandering (les démocrates le font aussi mais dans des proportions moins importantes).
Ce biais n’est pas nouveau. On se souvient des élections de 2000 où George W Bush en était sorti victorieusement grâce à une obstination sans faille et à une démission de son opposant (on avait qualifié cet acte de gracieux)
Sous l’influence de Donald Trump mais aussi de leur libre-arbitre, une partie importante des républicains se sont donc radicalisés. Le mouvement est désormais lancé, auto-entretenu et même accentué. Les nouveaux aspirants autoritaires – Ron DeSantis et Vivek Ramaswamy – se veulent encore plus performants que leur maître. Ils peuvent s’en donner à cœur joie, ils n’ont pas besoin de la majorité pour gouverner. Avec 7 millions de voix de plus que son adversaire, Joe Biden a été élu de justesse. Une poignée de milliers de voix dans 3 ou 4 Etats clés aurait pu donner la victoire à Donald Trump.