Ce devait être le Japon (“Rising Sun” de Michael Crichton en 1992), puis le Japon ou l’Europe (“Head to Head” de Lester Thurow). Mais cela n’est pas arrivé. En 1990, le PIB américain par habitant était assez proche de celui de l’Europe et du Japon. En 2022, il a plus que doublé aux Etats-Unis alors qu’il n’a augmenté que de 60 % en France et à peine 30 % au Japon. Toujours en 1990, l’économie américaine représentant 40 % du PIB du G7. En 2022, il est de 58 %.
Ce sera finalement la Chine que personne n’avait vu venir. Il est vrai que le PIB de la Chine en 1992 était 9 fois plus petit que celui du Japon et 15 fois celui des Etats-Unis. Et pourtant, si la Chine conteste l’hégémonie américaine, les Etats-Unis reste la première puissance mondiale. Ses performances récentes sont plutôt bonnes et ont été illustrées par The Economist dans un article intitulé « America’s Astonishing Economic Record ».
Pour Paul Krugman, prix Nobel d’économie et chroniqueur du New York Times, cette différence entre les Etats-Unis et l’Europe s’est opérée à partir des années et s’explique en partie par la démographie, beaucoup plus dynamique aux Etats-Unis en raison d’une natalité plus élevée et d’une immigration forte. L’économiste commente la situation française de la manière suivante : « France still looks weak by this comparison, but a lot of that reflects the fact that generally speaking, the French, unlike Americans, take vacations, and unlike us have taken out some of the gains from economic growth in the form of more leisure. Productivity – output per person hour – has risen faster in the United States than elsewhere, but the gap isn’t huge »
Mais ce dynamisme ne doit pas cacher un point noir : la désindustrialisation (comme beaucoup de pays de l’OCDE dont la France).
Donald Trump avait promis de rapatrier les industries aux Etats-Unis et de créer les emplois qui vont avec. On se souvient de l’épisode pathétique du fabricant de climatiseurs Carrier.
Quelques jours après avoir remporté les élections de 2016, le président élu Donald Trump avait persuadé la société – en échange de 7 millions de dollars d’incitations de l’État de l’Indiana et d’une certaine bonne volonté présidentielle – de conserver aux États-Unis la plupart des 1 100 emplois qu’elle avait prévu d’expédier au Mexique. « Companies are not going to leave the United States anymore without consequences. It’s not going to happen » avait à l’époque déclaré Donald Trump. « We’re not going to have it anymore ».
C’était le début d’une soi-disant politique volontariste qui ramènerait les emplois industriels aux Etats-Unis. Donald Trump présentait la sauvegarde de 800 emplois à Indianapolis comme une rupture décisive avec des décennies des entreprises américaines capitalisant sur des coûts de main-d’œuvre inférieurs à l’étranger au détriment des cols bleus. Quatre ans plus tard, on ne pouvait que constater que cette politique avait fait « pschitt ». Le slogan MAGA (Make America Great Again, que Donald Trump n’a pas inventé – Ronald Reagan et Bill Clinton l’avait déjà employé – mais repris à son compte) « seemed to be about more than election lies and cultural/racial grievance ».
A l’inverse, Joe Biden a lancé une politique vigoureuse fondée notamment sur les deux lois phares Inflation Reduction Act et Chips Act. La première a pour vocation de faciliter la transition climatique en développant les industries vertes sur le territoire américain (batteries, voitures électriques, appliances, éoliennes…) et la seconde de reprendre la maîtrise de la fabrication des semiconducteurs largement sous-traitée aux pays asiatiques et notamment Taïwan. Les résultats sont déjà significatifs avec des dépenses dans le secteur de l’industrie 75 % supérieures au maximum connu pendant le mandat Trump et qui ont déjà permis de créer 75 000 emplois. D’ailleurs, ces créations sur le sol américain ne sont pas nécessairement celles de sociétés américaines. A ce jour, les cinq investissements les plus importants sont le fruit de sociétés asiatiques.
« Why is Biden’s manufacturing push succeeding where Trump’s failed? » questionne Paul Krugman. La politique de Donald Trump était fondée sur la mise en place des taxes douanières et surtout la baisse des impôts (la recette magique des républicains depuis Ronald Reagan). C’est la fameuse trickle-down economics qui chante aux oreilles des républicains mais ne fonctionne pas. Elle ne fait qu’améliorer les marges des entreprises qui procèdent ensuite aux rachats d’actions pour soutenir le cours (Signalons au passage que le rachat d’action a été autorisé pendant la période Reagan). Le raisonnement du trickle-down economics est comparable à la théorie du gruyère selon laquelle plus il y a de trous, plus il y a de trous, moins il y a de gruyère, donc plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère.
La politique de Joe Biden, peut être qualifiée de trickle-up economics, s’appuie sur des crédits d’impôts pour les entreprises sur les productions d’énergie verte et pour les particuliers pour les achats d’équipements (voitures électriques notamment) fabriqués aux Etats-Unis. Si les premiers résultats sont là, Paul Krugman pointe sur deux problèmes : la rapatriement des fabrications sur le sol américain et la politique protectionniste sont de nature à augmenter les coûts et créé des frictions avec les partenaires des Américains. Par ailleurs, cette politique pourrait être atteinte du syndrome « qui trop embrasse mal étreint » (trying to kill too many birds with one stone) : « using targeted tax credits to save the planet and create good blue-collar jobs and lift up lagging regions ».
Par ailleurs, il n’est pas sûr que cette politique réussisse dans les urnes et permette de regagner le cœur des « working-class voters » qui ont été totalement envoutés (pollués ?) par le précédent président.
Ces succès économiques s’inscrivent dans une société américaine fragilisée, fracturée et polarisée. Certains indicateurs sont préoccupants. D’abord l’espérance de vie en baisse depuis plusieurs. Ce phénomène va au-delà des effets du Covid qui a touché tous les pays à économie et démographie comparables. Pour preuve, cette baisse a commencé avant le Covid et semble se poursuivre après. La polarisation n’a jamais été aussi forte dans une société où la fracture partisane est désormais béante : républicains et démocrates ne sont désormais d’accord sur rien. La dernière mandature à la Chambre des représentants est typique de cet état de fait. Fort de leur majorité très légère, les républicains semblent plus intéressés à harceler, discréditer, punir ou détruire leurs opposants qu’à légiférer.
Pour être élu Speaker, Kevin MacCarthy a dû faire alliance avec les radicaux du Freedom Caucus. Il est son otage depuis. Le taux d’homicide est à un niveau jamais connu et beaucoup plus élevé que dans les pays de l’OCDE. Les tueries de masse (mass shooting), définies comme celles provocant le décès de quatre personnes sans compter celle du tueur interviennent en permanence. Malgré cela, les républicains restent arcbouté sur la vente libre des armes à feu qu’ils appuient sur une interprétation littéraliste du deuxième Amendement. Les décès par overdose d’opiacées n’ont pas jamais été aussi élevés, ils ont dépassé les 100 000 morts en 2021 et 2022. Les inégalités sont toujours à des niveaux historiques comparables à celles des années de la Reconstruction (après la guerre de Sécession) et des barons voleurs ou de l’époque des « roaring twenties ». Sans parler de la question raciale qui n’est toujours pas résolu. Une étincelle peut embraser l’Amérique. Le meurtre de George Floyd (qui n’est pas une étincelle) a soulevé le pays entier pendant tout un été.
Bref, la société américaine n’est pas au mieux.