En mars dernier, André Kaspi, spécialiste connu et reconnu publiait aux éditions du Cerf (dans la série PLACARDS et libelles qui a fait long feu) un article intitulé de manière un peu péremptoire « Pourquoi Biden va échouer ». L’auteur aurait pu être un peu plus mesuré en ponctuant son titre d’un point d’interrogation laissant la porte ouverte à plusieurs possibilités.
L’article commence par quelques points positifs sur l’expérience – des décennies au Sénat et deux mandats de Vice-président de Barack Obama – et la personnalité du candidat qualifiée de « sympathique et modéré (…) C’est l’anti-Trump qui marque le retour à la normale, à une société réconciliée, tranquille, traditionnelle…). Peut-être, mais plus de deux décennies de convulsions par une droite de plus en plus radicalisée, soulevée par Newt Gingrich, activée par le Tea Party et déchainée par Donald Trump, n’est pas prête à se calmer aussi rapidement. Le mauvais génie est sorti de sa bouteille.
L’historien propose ensuite une sorte de liste à la Prévert des manquements, échecs et autres carences dans les politiques menées par Joe Biden « qui devra agir immédiatement à la manière de Franklin Roosevelt dont il se croit l’héritier ».
D’abord la politique pour juguler le Covid, une tâche quasi insurmontable tant la question s’est politisée empêchant la réalisation des décisions prises. Un échec dont Joe Biden n’est pas comptable mais peut-être tenu responsable alors que son prédécesseur avait largement préparé le terrain. Avec l’exception de la politique de développement du vaccin, une belle réussite des laboratoires américains dont Donald Trump a été l’initiateur mais qu’il n’a jamais voulu voir la mise en œuvre, de peur de s’aliéner une partie de sa base complotiste.
Puis l’immigration clandestine, revers présenté comme patent écrit l’historien qui qualifie cette question de « quadrature du cercle, un objectif inaccessible, l’un des échecs de Joe Biden ». Mais peut-on tenir responsable quelqu’un qui n’a pas réussi à atteindre inaccessible ? Même au pays de Superman et Captain America.
André Kaspi mentionne ensuite le « gigantesque plan de 6 000 milliards de dollars qui moderniserait l’industrie, les transports routiers et ferroviaires, qui aiderait les familles, adapterait le système scolaire ; moderniserait l’approvisionnement en eau et le réseau électrique, combattrait le changement climatique, etc » qu’il présente bizarrement comme un échec alors que le bilan ne pourra être connu que dans 5, voire 10 ans.
La politique étrangère pourrait alors sauver le bilan de Joe Biden. Là encore, André Kaspi tire déjà un bilan négatif avec comme symbole le retrait d’Afghanistan qualifié de « débâcle de Kaboul ». Comment mettre sur les épaules de Joe Biden le catastrophique accord signé par Donald Trump avec les seuls Talibans et en excluant le gouvernement du président Ghani ? Certes les Américains n’ont pas tenu informés alliés, certes il y a eu cet attentat meurtrier, certes l’état Afghan s’est effondré comme un château de cartes déjouant tous les pronostics des agences de renseignement mais l’armée américaine n’a-t-elle pas réussi à évacuer 120 000 Américains et Afghans en deux semaines ?
Et selon André Kaspi, cet échec aurait permis à nombre d’état non démocratique « de profiter de la débandade ». Une affirmation plutôt surprenante.
En conclusion, le bilan de la première année de cette présidence n’est pas positif, loin de là et cela devrait se traduire dans les élections de mi-mandat, écrit-il. Le résultat des élections de mi-novembre ne donne pas raison aux réserves présentés par l’historien.
Quit Underestimating President Biden
A l’inverse d’André Kaspi, Newt Gingrich, ancien Speaker de la Chambre des représentants sous Bill Clinton, qui n’a aujourd’hui plus qu’un rôle de commentateur et d’influenceur de la viepolitique américaine, met en garde les républicains en leur disant que « Biden is winning ». Un discours aux antipodes donc. Newt Gingrich, sorte de ProtoTrump à son époque, a été logiquement un soutien inconditionnel de Donald Trump jusqu’à ces dernières semaines. Il a pris ces distances avec l’ancien président, non pas pour des raisons morales ou de pratiques politiques mais parce qu’il considère que l’ancien locataire de la Maison Blanche est désormais un boulet pour les républicains qu’il conduit à la défaite.
Ces déclarations vis-à-vis de ses comparses républicains interviennent après les élections de mi-mandat qui, contrairement à la tradition et à ce qui était attendu, ont été plus favorable aux démocrates. Ils ont pu garder la majorité au Sénat et concéder une faible majorité à la Chambre des représentants. Le président Biden « a soigneusement et prudemment mené la guerre en Ukraine sans troupes américaines » écrit Newt Gingrich. « Arrêtez de sous-estimer le président Biden », a écrit récemment Newt Gingrich dans une chronique sur son Blog. « L’hostilité des conservateurs à l’égard de l’administration Biden […] a tendance à nous aveugler sur l’efficacité de Biden.
« Je pensais au football et à la clarté de gagner et de perdre. J’ai été frappé par le fait que, mesuré par ses objectifs, Biden a eu beaucoup plus de succès que ce que nous étions prêts à créditer. Les conseillers me disent qu’il n’a pas pris de décision formelle de se présenter à nouveau (…) Mais ses amis me disent qu’ils pensent que seules deux choses pourraient l’arrêter : la santé ou Jill.
Certes la position des démocrates aux Congrès ne lui permet plus d’avancer comme il a pu les faire pendant la première moitié de son mandat mais il aura alors tout loisir pendant la seconde de faire valoir ses réalisations : « Il fera valoir qu’il a contribué à produire un taux de chômage record, des emplois en Amérique dans la fabrication et les puces informatiques, et les plus grandes lois d’infrastructure et d’énergie verte de l’histoire ».
News Gingrich prévoit déjà la narratif du possible président-candidat: « Le plan de relance économique le plus important depuis Roosevelt … Le plus grand plan d’infrastructure depuis Eisenhower … Le projet de loi de réforme des armes à feu le plus radical depuis Clinton … Une législation historique sur la compétitivité de la Chine qui ramène déjà des emplois manufacturiers de l’étranger … Le plus grand projet de loi sur le changement climatique de l’histoire. »
A l’inverse, le discours des républicains n’est plus le bon selon l’ancien speaker : « Nous devons repenser à partir de la base comment nous allons vaincre le socialisme du grand gouvernement – y compris presque inévitable candidat démocrate à la présidence, Biden (…) C’est un défi beaucoup plus grand que je ne l’aurais imaginé avant les élections. » Il y a un mois, il aurait été difficile d’imaginer un dirigeant de la Nouvelle Droite des années 90 du GOP soutenir que Joe Biden n’est pas seulement un gagnant mais aussi un modèle.
Alors qui d’André Kaspi ou de Newt Gingrich est dans le vrai ? Qu’est-ce qui prévaudra et restera dans l’histoire, le manque de réussite dans certains domaines de Joe Biden ou, au contraire, les succès de l’administration actuelle, d’autant plus remarquables qu’ils ont été atteints en dépit d’une très courte majorité ?