Selon l’institut Gallup, sept Américains sur dix sont aujourd’hui favorables au mariage homosexuel contre 27 % en 1966. C’est là une formidable évolution en faveur de ce que l’on peut considérer comme une avancée sociale. Une opinion qui n’est pas également partagée par tous. On observe une concomitance entre l’intensité de la pratique religieuse et le soutien au mariage homosexuel.
C’est dans ce contexte que le Sénat vient de légaliser le mariage gay à 62 voix contre 38 dans un vote bipartisan qui embarquait une douzaine de républicains. Ce texte législatif va être porté sur le bureau du président pour être signé et ainsi transformé en loi. Les démocrates ont poussé et accéléré pour solidifier cette loi et pour prémunir les Etats-Unis d’une annulation de l’arrêt Obergefell v. Hodges publié en 2015 par la Cour Suprême comme elle l’a fait en juin 2022 avec l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization qui invalidait l’arrêt Roe v Wade et faisait ainsi tomber la protection fédérale sur la légalité de l’IVG, la renvoyant devant les juridictions des Etats.
Le Congrès américain a donc entériné un fait social désormais accepté par une majorité d’Américains.
Quels sont les arguments de ceux qui combattent cette loi que va signer Joe Biden dans les prochains jours ? Pour mieux les comprendre, j’ai retenu trois grandes publications conservatrices : The American Spectator, la National Review et The American Conservative.
Pour l’American Spectator, sans doute le plus conservateur des trois, ce texte est une abomination et les républicains qui lui ont apporté leur concours en décidant de le voter devraient avoir honte : « The ruling class portrays “bipartisanship” as the solution to our problems. In truth, it is a source of them. More often than not, bipartisanship simply means that Republicans and Democrats have joined together to pass legislation damaging to the country’s future ». Pour l’auteur, les républicains seraient atteints de la maladie du progressisme qui mettent en danger la société américaine.
Pour l’auteur de l’article, cette loi baptisée du nom Orwellien “Respect for Marriage Act” aurait dû s’appeler the Destruction of Marriage Act and Orphan-Creation Program. Il considère qu’elle est contre la famille et contre la religion et les chrétiens : « It is a massive affront to God and a violation of the natural right of children to have two biological parents known to them and bound together by marriage. Orphans, of course, have always existed. But it wasn’t until our pagan times that governments saw it as virtuous to create them under official state policy and to treat anyone who opposes this now-regnant state policy as enemies of the state (…) The “gay marriage debate” is a zero-sum game that the “woke” have won and Christians have lost. Their banishment from the public square will now accelerate.
On a du mal à comprendre l’argument. Cette loi respecte bien le Premier Amendement, elle n’oblige personne à défendre le mariage pour tous, ni même à se marier avec qui il ne souhaiterait pas. Le fait que des personnes de même sexe puissent se marier n’enlève rien à celles qui ne le font pas. En revanche, la question des enfants n’est pas abordée par l’auteur qui ne supporte pas que la société américaine se sécularise. Rappelons que les rédacteurs de la Constitution avaient une position très distanciée avec la religion. L’idée principale qui était défendue dans le premier amendement n’était pas de favoriser une religion en particulier même la religion chrétienne (même si c’était de loin la plus répandue), mais de permettre à tous les citoyens de pratiquer librement sa religion.
Premier Amendement
« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »
« Judeo-Christian America is for all intents and purposes dead. America is now a secularist dystopia moving headlong toward the liberal tyranny that Biden and Barack Obama long cast as a “fundamental” revision to our political order. The “revolution” to which they appeal is the atheistic French Revolution, not the God-fearing American one », conclut-il curieusement en appelant une tyrannie promue évidemment par Obama et Biden alors qu’elle est soutenue par 70 % des Américains. La révolution américaine soi-disant God-fearing est un mythe que souhaitent propager les partisans de l’ultra-droite américaine.
La position de la National Review est plus nuancée. L’auteur de l’article Extorting ‘Virtue’: The Problems with the Same-Sex Marriage Bill commence par une rhétorique assez connue disant qu’il est tellement favorable au mariage gay qu’il est contre ce projet de loi : « In principle, I don’t object to federal same-sex marriage legislation. I could not object more intensely, however, to the federal “Respect for Marriage Act” that Congress is about to enact ».
Introduction maniant le paradoxe pour rapidement dériver sur un thème connexe mais disjoint sur les questions de sexe et de genre et sur la guerre culturelle – Kulturkampf offensives always start with language – qui en découle et pour laquelle les progressistes ont gagné, selon l’auteur.
« … millennia of experience teach us that homosexuality is a natural state, though far from a normative one. That being the case, gay couples ought to have as much right as the rest of us do to pursue happiness ».
L’auteur ne semble pas remettre en cause l’union entre personnes du même sexe mais considère que le mariage traditionnel doit garder son caractère spécifique : « a union based on sexual complementarity for the promotion of procreation and the raising of children in a family ». Mais avec l’idée que le mariage est une construction sociale et non une réalité biologique (différence entre sexe et mariage), il n’est pas incongru d’accepter cette union entre personne du même sexe, même si l’auteur aurait préféré qu’il ait un caractère différent (équivalent du Pacs en France par exemple) et si, il explique que l’on a encore peu de recul sur cette innovation sociale. Quand la société a conçu le mariage, elle n’avait pas en tête la possibilité du divorce qui interviendra bien après.
Donc jusqu’ici l’auteur semble s’accommode du mariage gay mais introduit une objection qui mène à un profond désaccord :
L’objection :
« In a tolerant, pluralistic society, I could accept the society’s political decision to recognize gay marriage, and the society would accept my right to adhere to the traditional understanding of marriage. There is plenty of room for everyone to be content, to live and let live ».
Le désaccord
« Respect for Marriage Act currently under consideration. It does not strive for tolerance and domestic tranquility ».
En quoi, cette loi n’assure pas la tolérance et la tranquillité ? L’auteur fait référence à cette histoire du pâtissier du Colorado qui avait refusé de fabriquer un gâteau pour un mariage gay parce que ça allait contre ses convictions religieuses. La Cour Suprême avait donné raison au pâtissier mais n’avait pas statué sur la question générale du Premier Amendement. Une nouvelle affaire, toujours dans le Colorado, concernant une designer de sites web qui refuse ses services pour un mariage gay, va être entendu à nouveau par la Cour Suprême. Bis repetita.
Pour l’auteur, cette loi enfreint la liberté religieuse puisqu’elle oblige cette conceptrice de site Web de travailler sur un projet qui irait contre ses convictions : « For the Left, it is not enough to tolerate same-sex marriage; you are to laud and celebrate it ». Une conception étonnante qui permettrait ainsi à toute entreprise de refuser ses services dans la mesure où le projet ou le profil de ses clients ne lui conviendrait. En quoi, fabriquer un cadeau ou concevoir un site web pour un couple gay revient-il à faire la promotion du mariage homosexuel ?
L’article de l’American Spectator constate que cette loi ne fait que confirmer l’arrêt Obergefell v. Hodges et invalide les lois votées dans 35 états. Ce qu’il omet de dire est la possibilité qu’avait la Cout Suprême de considérer cet arrêt à la lumière de ce qu’elle a fait avec l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization. Mais aussi il se lamente que n’ait pas été pris en compte l’amendement introduit par le sénateur de l’Utah Mike Lee qui affirme que loi met en péril la liberté religieuse. Il ne s’agit pas ici de liberté religieuse mais de perte d’exemption fiscale pour toutes les institutions (écoles, universités, églises, organisation à but non lucratif…) sur le fait qu’elles ne reconnaissent pas cette nouvelle loi.
« My simple, common-sense amendment would prohibit the federal government from retaliating against any person or group for adhering to sincerely held religious beliefs and moral convictions about marriage (…) Under the RFMA’s current language, many religious schools, faith-based organizations, and other non-profit entities adhering to traditional views of marriage would be at risk of losing tax-exempt status and access to a wide range of federal programs. Many small businesses would also be affected. For example, wedding vendors (including kosher caterers) would be subjected to endless lawsuits and harassment based solely on their beliefs ».
Il ne s’agit pas de représailles mais de respect de la loi. Pourquoi ces institutions seraient-elles exemptées si elles ne respectent pas la loi ? « La nouvelle loi n’est pas équilibrée, elle augmente les droits de certains groupes au détriment d’autres » poursuit-il. Le 14e amendement n’assure-t-il pas qu’aucun Etat (…) ne refusera à quiconque relevant de sa juridiction, l’égale protection des lois.
De nombreux élus républicains considèrent trop souvent que les Etats-Unis d’Amérique sont une nation chrétienne alors qu’ils sont une nation défendant la liberté des religions, de toutes les religions.