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Les libéraux persistent, les conservateurs se radicalisent

Dans un récent article publié par le mensuel The Atlantic (More Proof That This Really Is the End of History), Francis Fukuyama persiste et signe à nouveau sur la fin de l’histoire et la pertinence du modèle libéral.

A front renversé, John Daniel Davidson, senior editor du Federalist, considère que le conservatisme a failli et que les conservateurs doivent se penser en termes extrêmes comme des contrerévolutionnaires et des défenseurs d’une nouvelle Restauration.

Les régimes autoritaires menacent-ils les démocraties ?

Les dix dernières années, des régimes autoritaires non contraints pas l’état de droit et les contre-pouvoirs sont apparus ou se sont renforcés. La Russie et la Chine affirment que « la démocratie libérale » est un déclin. Et pourtant, Francis Fukuyama ne désarme pas et considère que deux types de faiblesses intrinsèques à ces régimes. Le premier est que la concentration de pouvoir dans les mains d’un leader seul à leur tête ce qui ne garantit pas de prises de bonnes décisions et, à terme, conduit à la catastrophe. Le second est que l’absence de débat public et de discussions contradictoires dans les états forts, qui font partie de l’idée démocratique, et aucune obligation de responsabilité fait que le soutien du leader est fragile et peut s’éroder à tous moments et rapidement.

L’ancien défenseur de « la fin de l’histoire » ajoute qu’il ne faut pas accepter le fatalisme qu’essaient de nous imposer les leaders russes et chinois selon lequel les démocraties sont dans un déclin inexorable. L’évolution à longs termes des institutions et de l’histoire en général ne se fait pas de manière linéaire ou automatique. Au fil des ans, nous avons assisté à d’énormes revers dans les progrès des institutions libérales et démocratiques, avec la montée du fascisme et du communisme dans les années 1930, ou les coups d’État militaires et les crises pétrolières des années 1960 et 70. Et pourtant, la démocratie libérale a enduré et est revenue à plusieurs reprises, parce que les alternatives sont si mauvaises.

Les faiblesses des États forts ont été mises en évidence en Russie. Le président Vladimir Poutine est le seul décideur ; même l’ex-Union soviétique avait un bureau politique où le secrétaire du parti devait examiner les idées politiques. La guerre en Ukraine est l’exemple type de la mauvaise décision que le leader russe a pris seul, qui conduit son pays à la catastrophe et donc apparemment il ne semble aucunement comptable. «Putin’s bad decision making and shallow support have produced one of the biggest strategic blunders in living memory » remarque-t-il.

Et ce qui se passe actuellement en Chine est comparable bien que moins marqué. Mauvaises décisions en matière économique (investissements lourds dans l’immobilier, reprise en main du secteur de la tech), l’agriculture, la Covid, autant d’exemples qui renforcerait l’argumentaires de l’auteur de l’article. Et les exemples ne se limitent pas à la Chine et à la Russie.

Les gens de cultures variées n’aiment pas vivre sous la dictature et ils apprécient leur liberté individuelle. Aucun gouvernement autoritaire ne présente une société qui est, à long terme, plus attrayante que la démocratie libérale, et pourrait donc être considérée comme le but ou le point final du progrès historique. Les millions de personnes qui votent avec leurs pieds – quittant les pays pauvres, corrompus ou violents pour la vie, non pas en Russie, en Chine ou en Iran, mais dans l’Occident libéral et démocratique – le démontrent amplement.

Francis Fukuyama maintient donc que la démocratie est une valeur universelle, certes défrichée par l’Occident mais dont ce dernier n’a pas le monopole. Il est vrai que nombre de régimes autoritaires faisant le lien entre Occident et démocratie, peuvent ainsi se permettre de jeter la seconde en repoussant le premier. Il semble néanmoins ébranlé par ce qui se passe aux Etats-Unis où « Some 30 to 35 percent of its voters continue to believe the false narrative that the 2020 presidential election was stolen, and the Republican Party has been taken over by Donald Trump’s MAGA followers, who are doing their best to put election deniers in positions of power around the country ».

« Liberal democracy will not make a comeback unless people are willing to struggle on its behalf. The problem is that many who grow up living in peaceful, prosperous liberal democracies begin to take their form of government for granted ». En clair, la démocratie ne s’impose pas d’elle-même, elle est le résultat d’un engagement et d’une volonté de tous.

Les conservateurs se radicalisent

Ne dites pas à ma mère que je suis un conservateur, car je suis en fait un radical, un membre de la restauration et un contre-révolutionnaire[1]. Pas moins que cela. C’est en tous cas, ce qu’écrit John Daniel Davidson dans un article récent publié par The Federalist Il fut un temps où les conservateurs tentaient de gommer un peu leurs idées afin qu’elles paraissent plus acceptables. Aujourd’hui, il semblerait que ce soit le contraire, il faut au contraire accentuer, forcer et exagérer le propos afin qu’il soit mieux perçu. Donald Trump n’avait peut-être pas été le premier à utiliser le procédé mais il l’a porté haut étant donné son exposition médiatique que le titre de président des Etats-Unis a porté à son paroxysme. Procédé qui a prouvé être efficace créant un véritable culte de la personnalité. Depuis, de nombreux « minis Trump » se sont pris à rêver en faisant la même chose que leur maître. Les interviews et débats télévisés à l’occasion des midterms 2022 mettant en scène les candidats républicains confirment cette tendance. Ils ne font que reprendre la tonalité de l’argumentaire général de Donald Trump qui avait synthétisé lors de son discours d’investiture. Et comme il avait déclaré « I can fix it alone », la situation s’est améliorée dès qu’il est arrivé à la Maison Blanche.

« In America, conservatives and classical liberals alike rightly believe an ascendent left wants to dismantle our constitutional system and transform America into a woke dystopia » écrit l’auteur. Jusqu’à une époque récente, cela avait un sens. Mais plus maintenant car il n’y aurait plus rien à « conserver ». Il mélange alors des sujets aussi différents que : « marriage as it has been understood for thousands of years, the First Amendment, any semblance of control over our borders, a fundamental distinction between men and women, and, especially of late, the basic rule of law ».

Il propose de rompre le pacte d’association des différentes tendances du parti républicain que Ronald Reagan avait réussi à réunir : les vrais conservateurs, les libertariens obsédés par le marché et la liberté individuelle, et les néoconservateurs qui souhaitent répandre la démocratie dans le monde entier, fusse par la force (cf guerre en Irak). On pourrait y ajouter les christian nationalists, les white nationalists et les évangélistes qui défendent les valeurs traditionnelles sociétales sur les questions de la famille (mariage, avortement, religion).

« Western civilization is dying ». Rien que ça. Le progrès technique qui fut longtemps un moteur du progrès du genre humain est perçu désormais comme un obstacle. La sécularisation de la société ouvre la porte à l’irreligion et va conduire à la persécution. Et puisque « the accomodation with the left is impossible », il faut « to getting used to the idea of wielding power, not despise it ». La conclusion est simple. Il faut prendre le pouvoir quels que soient les moyens. C’est un peu ce que tentent de faire les républicains en remettant en question les principes démocratiques. Les midterms semblent mettre en pause ce projet funeste.

Mais fini les idées de small government, et de société libérale. « The government will have to become in the hands of conservatives, and instrument of renewal in american life. And in some cases, a blunt instrument indeed ». Est-ce avec comme objectif la création d’un Gilead décrit dans le roman de Margaret Atwood La Servante Ecarlate. Car il ne s’agit pas ici seulement de contrôler les Big Tech (dont l’emprise sur la société est devenue écrasante) mais à remettre au pas les institutions de la société actuelle comme les universités, l’église, la famille, les entreprises. Pas de critical race theory ni de wokisme mais une reprise en main de l’individu qui doit se mettre au service d’un nouvel ordre.


[1] Parmi les déclinaisons de ce type de déclaration, on se souvient de celle de Jean-Louis Gassée, un ancien responsable d’Apple : « Ne dites pas à ma mère que je travaille chez Apple, elle me croit chez IBM ».

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