Le vote pour ou contre un amendement à la Constitution de l’Etat du Kansas sur le droit à l’avortement était particulièrement attendu et scruté dans la mesure où c’était le premier scrutin organisé dans un Etat depuis l’arrêt de la Cour Suprême Dobbs, State Health Officer of the Mississippi Department of Health, et al. v. Jackson Women’s Health Organization et al. Cet arrêt qui invalide l’arrêt Roe v. Wade de 1973 dit en substance que l’avortement n’est pas un droit inscrit dans la Constitution et qu’il revient au Congrès des Etats de légiférer sur le droit à l’IVG. Et c’est précisément ce qui était en jeu ce premier mardi d’août.
D’abord en mettant le vote sur cet amendement, au début du mois d’août, le même jour que les primaires pour les élections de mi-mandat. Misant ainsi sur une faible participation des électeurs les plus radicaux, ce qui est le cas en général pour les primaires. Ensuite en rédigeant un texte obscur et très confus dans lequel voter « Oui » était en fait la remise en cause du droit à l’avortement (voir ci-dessous). D’ailleurs, juste avant l’élection le comité d’action politique Do Right PAC dirigé par l’ex-congressman républicain Tim Huelskamp du Kansas a diffusé un message sur les téléphones portables pour ajouter un peu plus à cette confusion. Le texte du message indiquait que si la mesure était approuvé, il garantissait la liberté de choix alors qu’en fait il permettait aux deux chambres de l’état de rendre illégal l’avortement : « Women in KS are losing their choice on reproductive rights » prévenait le message. « Voting YES on the Amendment will give women a choice. Vote YES to protect women’s health ».
A une très grande majorité, contrairement à ce que les sondages avaient prévu, les habitants du Kansas, pourtant un Etat largement républicain (aux dernières élections présidentielles, Donald Trump avait un avantage de 14 points), ont voté clairement contre cet amendement qui entendait remettre en cause le droit à l’avortement et donc se sont prononcé pour le droit à l’IVG. Et pourtant les républicains qui ont la majorité dans les deux chambres ont fait tout ce qu’il fallait pour susciter de la confusion et obtenir ce qu’ils souhaitaient : supprimer le droit à l’avortement.
Tim Huelskamp a fait appel à Alliance Forge, une entreprise basée dans le Nevada, spécialisée dans la communication pour la diffusion du message. Cette dernière a loué une base de données à la société Twilio, une société basée à San Francisco et spécialisée dans la communication. Les numéros de téléphones portables ont été effacés lundi soir après l’opération mais selon Cris Paden, porte-parole de Twilio, a indiqué qu’Alliance Forge n’avait pas respecté le règlement de l’entreprise interdisant la diffusion de désinformation. De son côté, le CEO d’Alliance Forge a indiqué qu’il n’avait pas consulté le contenu mais s’était contenté de l’aspect technique de l’opération (une bataille juridique en perspective ?).
Le Washington Post révèle que la gouverneure de l’Etat, Kathleen Sebelius, ex-ministre de la Santé sous Barack Obama, avait reçu ce message.
Le résultat de ce référendum montre que le sujet du droit à l’IVG mobilise largement les deux camps et qu’il sera très présent lors des élections de mi-mandat. Fort de l’appui de la très conservatrice Cour Suprême, les républicains pensaient qu’ils pouvaient prendre des mesures très radicales pour interdire l’avortement. Cela même alors qu’une majorité d’Américains est favorable au droit à l’IVG sous certaines conditions (en cas de viol, d’inceste, lorsque la vie de la mère est en danger, avant 15 semaines…). La question divise même fortement les républicains. Le magazine The Bulwark propose un petit calcul qui démontre la proposition. Au Kansas, les électeurs affiliés au parti républicain sont deux fois plus nombreux que les électeurs affiliés au parti démocrate. Et les premiers votent en général plus lors des primaires. Le nombre de votants dans les primaires républicaines a été de 475 000 contre 275 000 pour les primaires démocrates (le vote sur l’amendement s’effectuait dans le cadre des primaires). Plus de 900 000 ont voté sur la question liée à l’avortement. A supposer que les démocrates aient tous voté contre la remise en cause du droit à l’avortement, cela ne représente que la moitié des votes en faveur de ce droit. Il faut donc aller en chercher un peu plus de la moitié chez les républicains. Ce n’est donc pas seulement un coup de semonce lancé par la gauche ou le centre-gauche, mais aussi un avertissement que les électeurs républicains sont divisés sur cette question qui aura une forte incidence sur les élections de mi-mandat. C’est également un avertissement pour les autres Etats qui pourraient se lancer dans des initiatives comparables.