Traverser l’Atlantique en avion est aujourd’hui chose facile mais il n’en n’a pas toujours été. Il a fallu plusieurs hommes courageux pour y arriver. C’est l’épopée que retrace Bill Bryson dans son ouvrage « L’été où tout arriva – 1927. L’Amérique en Folie » qui narre cette période extraordinaire qui va conclure les Roaring Twenties avec l’exploit de Charles Lindberg et le choc de la crise de 1929.
Le vendredi 15 avril 1927, le Clarence Chamberlin et Bert Acosta battent le record de vol en restant plus de 51 heures dans les airs sans boire ni manger. Le New York Times titre à la Une pour informer sur l’événement : les pilotes se posent exténués mais impatients de s’envoler sur Paris. Théoriquement ils ont parcouru la bonne distance, 6500 km soit 800 de plus que celle de Paris à New York. Mais voler en boucle est une chose, traverser l’Atlantique en est une autre.
Et c’est Charles Lindbergh qui fut le premier pilote à relier, sans escale et en solitaire, New York à Paris entre le 20 et le 21 mai 1927 en 33 heures et 30 minutes, à bord de son avion Spirit of Saint Louis. Quelques jours plus tôt, le nouveau héros de l’Amérique était un illustre inconnu.
Et là celui qu’on surnomma « L’aigle solitaire » fit la pleine Une du New York Times qui afficha un titre sur trois lignes précisant que le pilote a volé pendant plus de 1000 miles à travers la neige et la glace. L’exploit est tel que le quotidien américain fait sa Une à nouveau le lendemain qu’il a continué l’aventure plutôt que d’opérer un demi-tour. Les jours suivants, le quotidien newyorkais en fait encore la Une. Lindbergh entre dans la légende. Le quotidien français Excelsior est tout aussi dithyrambique et enthousiaste sur cet exploit. A ce match dans les airs entre la France et les Etats-Unis, le quotidien français mentionne aussi celui sur la terre, en Tennis, où la France des mousquetaires bat les Etats-Unis en double.
« Charles Lindbergh était âgé de 25 ans, mesurait 1,90 m et pesait 58 kg. Il était vertueux jusqu’à l’absurde. Il ne fumait pas, ne buvait pas et n’avait jamais donné de rendez-vous à une fille. Son sens de l’humour était curieusement atrophié et il adorait faire des farces dangereuses confinant à la cruauté », écrit Bill Bryson. Un peu comme les marins des grandes courses d’aujourd’hui, l’exploit de Lindbergh n’a pas seulement été de traverser l’Atlantique mais aussi de faire construire un avion capable de le faire et de trouver des investisseurs. Le Spirit of St Louis – l’avion avec lequel il fit son exploit – s’inspirait d’un avion existant mais auquel il fallut apporter des modifications importantes sur les ailes, le fuselage, le train d’atterrissage, les ailerons… Le tableau de bord était plutôt sommaire, une dizaine d’indicateurs, onze exactement si l’on compte l’horloge. La jauge de carburant pourtant si essentiellement n’était pas fiable. Bref, l’expression piloter à vue peut facilement s’appliquer et encore car la visibilité était loin d’être optimale, il n’avait quasiment pas de visibilité vers l’avant. Ennuyeux car on pilote rarement vers l’arrière ! Il fit des essais mais un peu à la hâte car les candidats à l’aventure étaient nombreux : L’America de Byrd et le Columbia de Levine étaient prêts à décoller. Et dans l’autre sens, Nungesser et Coli avaient quitté Paris. Bref, il fallait faire vite pour être le premier car qui se souvient du second ? (Il y a 50 ans Apollo 8).
A 22h22 heure de Paris, exactement 33 heures, 30 minutes et 29,8 secondes après avoir décollé, le Spirit of St Louis se posa sur l’aéroport du Bourget où une foule de plus de 100 000 personnes l’attendait. La gloire de Lindbergh était à l’image de celle de Neil Armstrong, premier homme à marcher la Lune, quarante ans plus tard. Le New York Evening World parla du grand grand exploit d’un homme seul dans les annales de l’humanité ». L’évènement eut un retentissement considérable. Lindbergh reçut 3,5 millions de lettres envoyé principalement par des femmes. La société Western Union dut employer une quarantaine d’employés à plein temps pour traiter les télégrammes. Les Français ne furent pas en reste dans cet enthousiasme. Gaston Doumergue le reçu au Palais de l’Elysée et lui remis la Légion d’honneur, la plus haute distinction jamais reçu par un Américain.
La suite de la vie de Lindbergh fut mouvementé. Le fils du couple Lindbergh est kidnappé et tué. Son ravisseur est jugé et condamné à mort. Lassé d’être sous les feux de l’actualité et des médias, Charles Lindbergh décide de partir en Europe et s’installe à Londres mais noue des relations ambiguës avec l’Allemagne.
Partisan de la neutralité américaine au début de la guerre, il devient, de 1940 à 1941, l’un des principaux porte-parole du mouvement isolationniste America First. En mai 1941, Roosevelt lui demande de renvoyer la « médaille de la honte » reçue des mains d’Hermann Göring, ce qu’il refuse de faire, préférant démissionner de son poste de colonel au département de la Guerre. Par la suite, les déclarations de Lindbergh font peu à peu passer l’aviateur du rôle de pacifistes proaméricains à celui d’antisémites sympathisants de l’Allemagne et de son chef. Il change cependant d’avis après l’attaque de Pearl Harbor, en décembre 1941.
Lindbergh sert de « matière » à Philip Roth dans son roman Le Complot contre l’Amérique. Le narrateur, qui porte le nom de Philip Roth, décrit ses souvenirs d’enfant issu d’une famille juive du New Jersey. En 1940, le président Franklin Delano Roosevelt n’a pas été réélu et c’est l’aviateur Charles Lindbergh, sympathisant du régime nazi et membre du comité America First, qui est devenu président des États-Unis au terme d’une campagne teintée d’antisémitisme et axée principalement sur le refus de voir l’Amérique prendre part au conflit qui ravage l’Europe. Une fois arrivé au pouvoir, Lindbergh s’empresse de conclure avec Hitler un pacte de non-agression.
Charles Lindbergh est mort en 1974 à Hawaï à l’âge de 72 ans.