Professeur de droit de renom, Lawrence Lessig vient de publier un article dans le magazine The Nation (How to Get Our Democracy Back If You Want Change, You Have to Change Congress) très pessimiste et plutôt déprimant pour ceux qui croient à réalité et à la profondeur de la démocratie américaine.
Sa thèse est relativement simple :
- Le Congrès est plus ou moins (plutôt plus) sous influence des lobbies en tous genres ; la préoccupation principale de ses membres est de collecter des fonds pour leur propre réélection (si ce n’est plus) ;
- Le Congrès, et surtout le Sénat, est devenu le maillon faible de la démocratie américaine ;
- Malgré les immenses espoirs qu’il a fait naître, Barack Obama est passé à côté de la mission qu’il semblait s’être lui-même donnée à savoir « changer le fonctionnement de Washington » : « Challenge the broken system in Washington » et « fundamentally change the way Washington works ».
Les institutions constituent un sujet de fierté des Américains et de leurs hommes politiques. La « jeune » démocratie ne fonctionne-t-elle pas sur la plus vieille constitution du monde en activité. Le rapport des responsables politiques américaines, le président en tête qui est le garant de la constitution, à leurs institutions est quasi religieux. 76 % des Américains font confiance à la Cour Suprême et 61 % dans la fonction présidentielle. Mais seulement 45 % ont confiance dans leur Congrès et 25 % seulement approuvent la manière avec laquelle il fonctionne. Un pourcentage à peine supérieure à celui des Américains qui, à l’époque, soutenaient la Couronne britannique au moment de la révolution.
Le fundraising Congress
Quelles sont les raisons de ce mauvais fonctionnement ? L’auteur mentionne plusieurs pour n’en retenir qu’une seule : un « fundraising Congress ».
Parmi les différentes raisons qui sont souvent mentionnées :
- La complexité des règles de fonctionnement du Congrès, surtout le Sénat, avec comme exemple bien connue la fameuse procédure filibuster qui peut bloquer à tout moment n’importe quel moment tout projet de loi lorsque le parti au pouvoir ne possède pas la majorité qualifiée des 60 sièges. Cette épée de Damoclès a bien pesé sur cette première année du mandat Obama qui ne possédait justement que 60 sièges. Argument balayé par Lawrence Lessig qui considère que des intérêts privés capables de faire en sorte que 40 sénateurs bloquent un projet de loi pourraient en influencer 51. Ce n’est là qu’une question de moyens.
- Les lobbies. Le problème n’est pas les lobbies, des institutions largement officialisées aux Etats-Unis, mais le rôle que les lobbies peuvent jouer. Et de citer John Ewards (si c’est encore possible !) : « il y a une différence entre argumenter devant u njury et faire miroiter un billet de 100 dollars aux membres qui le composent ».
- La politique partisane. Certains pensent que l’esprit partisan qui fait que l’on décide plus sur les problèmes eux-mêmes, mais en fonction de sa position sur le spectre tue le fonctionnement du Congrès. Mais en fait c’est qu’est que la partie émergée d’un problème beaucoup plus grave. Lawrence Lessig « s’émerveille » sur la manière de reformuler les questions posées et retient l’exemple des laboratoires pharmaceutiques qui, pour arrêter la mise sur le marché d’un nouveau médicament, lance un obscur débat sur les commissions de vie ou de mort (death panels) ou le droit du choix du médecin.
En fait, pour Lawrence Lessig, tous ces symptômes ont une cause commune : une dépendance « maladive » du Congrès avec des forces externes et totalement étrangère à la démocratie.
Circonstances atténuantes
Des preuves de cette dépendance ? Apparemment, il n’y aurait que l’embarras du choix et livre de Robert Kaiser intitulé So Damn Much Money: The Triumph of Lobbying and the Corrosion of American Government pour trouver des exemples justifiant cette thèse. Le sénateur Baucus qui a accepté 3,3 M$ de l’industrie de la santé et des assurances alors qu’i était la commission de la santé ; Le sénateur John Campbell, propriétaire californien qui a reçu entre 600 000 et 6 M$ en location de distributeurs automobiles qui a réussi à faire un amendement les exemptant de certaines règles financières ; Ou encore les sénateurs Lieberman, Bayh et Nelson qui ont récupéré des millions de dollars des compagnies d’assurance et qui se sont ensuite opposés à ce que l’on appelle l’option publique [pubic option) ; une entité gouvernementale pouvant assurer tous les citoyens et en concurrence les sociétés privées].
D’autres faits attestent de cette poussée des lobbies. Selon le dernier recensement, 14 des 100 plus riches comtés des Etats-Unis sont dans les environs de Washington. En 2007, 9 des 20 les plus étaient dans cette zone. Ces organes d’influence se sont installés en masse près du pouvoir pour mieux le faire plier.
Selon Lawrence Lessig, c’est dans cette remise sur les rails de la démocratie américaine que le message du candidat Obama était radicalement différent des autres candidats et notamment de sa concurrente directe Hillary Clinton. Ce message était la source d’un grand espoir. Et dit tout net, jusqu’ici il est passé à côté et n’a pas pris le taureau par les cornes, pas parce qu’il est trop conservateur, trop liberal, mais parce qu’il était a eu une approche « trop conventionnelle » de la présidence et de la politique.
Et c’est là où la charge de Lawrence Lessig (qui a côtoyé plusieurs années Obama en tant que professeur de droit à l’université de Chicago) est forte et accable Obama. Comme ses prédécesseurs et malgré son discours de candidat, le 44e président est, jusqu’ici, passé à côté de la mission qu’il s’était lui-même attribuée.
Dommage donc. A supposer que cette thèse soit juste – difficile de se faire une idée précise d’aussi loin, même si l’argumentation déployée par Lawrence Lessig semble construite et pas volontairement à charge (Il se décrit lui-même comme un supporter d’Obama), il faut dire qu’Obama a eu une montagne de problèmes, certains connus comme les guerres en Irak ou en Afghanistan, d’autres plutôt inattendus comme la crise qui, paradoxalement a été un facteur important de son élection. Et puis, de l’avis de tous les analystes, une grande partie de son emploi du temps de cette première année a été utilisée pour mener à bien ce projet de réforme de la couverture maladie. Alors qu’il est si près du but, ce projet risque d’être remis en question par l’élection d’un républicain à la succession de Ted Kennedy – un des artisans de cette réforme – qui casse la majorité qualifiée des 60 sénateurs.
Maintenant, après les critiques, les solutions. Deux idées, assez simples au demeurant – pourraient résoudre une partie du problème.
La première – proposée en son temps par Theodore Roosevelt – réside sous l’appellation citizen-funded election. Seuls les citoyens peuvent apporter leur contribuer au financement des campagnes électorales à concurrence de 100 dollars maximum par citoyen. Ce qu réduirait sérieusement les budgets, mais ce n’est pas trop grave dans la mesure où tous les candidats seraient à égalité
Le seconde consisterait à interdire à membre du Congrès de travailler pour un lobby, directement ou indirectement, pendant sept ans après la fin de son mandant.
Mais apparemment, le chemin sera long pour arriver à mettre en œuvre ces mesures. La récente décision de la Cour suprême dans le cas Citizes United v. FEC qu facilite les contributions des entreprises de va certainement pas dans la bonne direction. Fait rarissime, Barack Obama s’est payé le luxe de critiquer cette décision dans son récent discours sur l’état de l’Union :
« With all due deference to separation of powers, last week, the Supreme Court reversed a century of law that I believe will open the floodgates for special interests, including foreign corporations, to spend without limit in our elections. I don’t think American elections should be bankrolled by America’s most powerful interests, or worse, by foreign entities. They should be decided by the American people. And I’d urge Democrats and Republicans to pass a bill that helps correct some of these problems. »
Seuls les présidents Harding (1922), Coolidge (1923), Roosevelt (1937), Eisenhower (1953), Reagan (1988) s’était autorisé une telle liberté (Has Any President Ever Criticized the Supreme Court During an Oral State of the Union Address?).
3 Commentaire
Steve Fischer
I read Reagen’s 1988 State of the Union address looking for a criticizem of the Supreme Court. Did not find one.