Les quelque 6 000 salariés de l’entrepôt d’Amazon de Bessemer dans l’Alabama vont être amenés à voter à nouveau en mars pour décider s’ils s’organisent en syndicat en rejoignant l’organisation de la branche (Retail, Wholesale and Department Store Union ou RWDSU). La première tentative en 2021 s’était soldée par un échec, les salariés n’ayant pas réussi une majorité sur ce projet. Mais ils font appel auprès du National Labor Relations Board (NLRB) invoquant le fait que les conditions du premier n’étaient pas satisfaisantes ni conformes aux pratiques habituelles. En cause des mesures musclées prises par le management d’Amazon pour dissuader les salariés de voter en faveur de ce projet de syndicalisation. Les salariés ont rapporté des actes d’intimidation que l’on pensait d’un autre temps et auxquelles une société « aussi moderne » qu’Amazon et véhiculant un langage aussi policé et politiquement correct n’aurait pas recours.
Mais il semble bien que le capitalisme 2.0 ressemble furieusement à la génération précédente. Amazon a signé un accord avec le NLRB dans lequel elle s’engage à ne pas menacer les salariés ou ne pas appeler la police lorsque certains d’entre eux distribuent des tracts dans l’entrepôt. Cela n’empêche l’entreprise de Jeff Bezos (deuxième fortune mondiale avec 192 milliards de dollars) de s’opposer activement à ce projet de syndicat. Par exemple en organisant des réunions avec des consultants extérieurs ou des membres de la direction encourageant fortement à voter contre. Un des salariés a déjà déposé une plainte auprès de la NLRB. Ces pratiques sont relativement courantes. En 2019, une étude publiée par l’Economic Policy Institute indiquait que plus de 40 % des employeurs avaient violé les lois fédérales face aux campagnes de syndicalisation des salariés préférant souvent de payer des amendes que de laisser un syndicat s’installer dans leur entreprise (U.S. employers are charged with violating federal law in 41.5% of all union election campaigns).
Quelques constats du rapport
Employers were charged with violating federal law in 41.5% of all NLRB-supervised union elections in 2016 and 2017, with at least one ULP charge filed in each case.
– Firings. Under the most conservative measures, employers were charged with illegally firing workers in one-fifth (19.9%) of all elections. Using more comprehensive measures, employers were charged with illegally firing workers in nearly a third (29.6%) of all NLRB-supervised elections.
– Coercion, threats, retaliation. In nearly a third (29.2%) of all elections, employers were charged with illegally coercing, threatening, or retaliating against workers for supporting a union.
– Discipline, firings, changes in work terms. In nearly a third (29.3%) of all elections, employers were charged with illegally disciplining workers for supporting a union.
Créée en 1994, Amazon est devenu le géant du e-commerce avec plus de 1 millions de salariés aux Etats-Unis et un chiffre d’affaires de 469 milliards de dollars. La crise sanitaire a particulièrement favorisé Amazon. De 2019 à 2021, son chiffre d’affaires est passé de 280Md$ à 469Md$, soit une croissance annuelle moyenne de 29 %. Et à 33Md$, le bénéfice a été multiplié par trois. A ce rythme de croissance, la firme de Seattle va surpasser son concurrent brick and mortar Walmart dans un ou deux ans. Sur son exercice 2021 (clos le 31 janvier 2021), Walmart a réalisé un chiffre d’affaires de 559Md$ au terme d’une croissance de 6,7 % (un bon résultat aussi supérieur ou 1 ou 2 % les deux années précédentes.
Si elle appartient au groupe des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), Amazon a un profil d’entreprise très différent, notamment parce qu’elle emploie beaucoup de personnel relativement peu qualifié qui travaille dans les entrepôts et sur les routes dans des conditions assez difficiles où la technologie – qui a remplacé les contremaîtres – impose un rythme de travail. Une sorte de taylorisme remis au goût du jour avec l’Internet et l’intelligence artificielle et qui vise le même objectif de rendement. Google, Facebook et Microsoft sont des entreprises 100 % numériques qui ne produisent que de l’immatériel, en l’occurrence du code informatique, et Apple sous-traite la production de ses produits à l’étranger, principalement en Chine. Elles ne sont donc pas concernés par le problème de la syndicalisation.
L’initiative de Bessemer semble donc faire tache d’huile, chez Amazon mais aussi dans d’autres entreprises américaines. Les salariés de l’entrepôt basé à Staten Island et connu sous l’appellation JK8 devraient eux-aussi se prononcer à la fin du mois prochain. Même mouvement chez Starbucks où quatre cafés de Philadelphie (Market Street, Walnut Street, Callowhill Street et 9th Street) ont également lancé une initiative comparable auprès du syndicat de la branche (Service Employees International Union – SEIU). Ici encore, la direction de l’entreprise a pris des mesures anti-syndicalisation fortes. A Memphis (Tennessee), Starbucks était allé jusqu’à licencier les 7 personnes du comité d’organisation de la syndicalisation du café. Au total, quelque 80 cafés se sont lancés. Pour l’instant c’est relativement peu sur les 9000 cafés que compte la firme de Seattle. Mais si l’initiative réussi, elle pourrait bien donner des idées à d’autres. D’autant que la période est relativement favorable aux salariés dans une période où le marché de l’emploi est très tendu.