La liberté a bon dos ces derniers temps et semble être la raison de nombre de débordements, en France, aux Etats-Unis et ailleurs. Ici, le « ailleurs » vient du Canada, pays apparemment tranquille et sans histoire. Et tout à coup se met en branle un mouvement autoproclamé « convoi de la liberté » (Freedom Convoy) soi-disant initié par les camionneurs canadiens pour manifester contre les mesures décidées par le gouvernement canadien de lutte contre la Covid, imposant en particulier une quarantaine de 14 jours pour les conducteurs non vaccinés entrant au Canada.
Les reportages auraient montré plus de 4×4 et autres pickups de particuliers que des camions conduit par des professionnels. En fait, les manifestants en nombre relativement restreint ont fait preuve d’une grande efficacité en bloquant de nombreuses artères importantes ainsi que le centre-ville d’Ottawa, faire le « buzz » sur les médias du monde entier et faire des émules en Australie, en Nouvelle-Zélande, en France… Une version américaine du Convoi de la liberté s’est baptisé “Convoy to D.C. 2022”.
D’abord, le syndicat des camionneurs qui regroupent les professionnels de la route canadiens et américains ont, sans équivoque, dénoncé ce mouvement dans un communiqué (Teamsters Denounce Freedom Convoy Blockade at Canadian Border) : « The Teamsters Union denounces the ongoing Freedom Convoy protest at the Canadian border that continues to hurt workers and negatively impact our economy. The livelihood of working Americans and Canadians in the automotive, agricultural, and manufacturing sectors is threatened by this blockade ».
Parallèlement, un sondage réalisé par le cabinet Leger indique que 65 % des Canadiens pensent que le convoi de la liberté représente seulement « une minorité de canadiens égoïstes ».
A l’inverse, ce mouvement a bénéficié du soutien de nombre d’élus du parti républicain. Le sénateur du Texas Ted Cruz a qualifié les camionneurs canadiens de « Héros » alors que Donald Trump s’est fendu un communiqué en tant qu’ex-président et chairman de Trump Media & Technology Group dans lequel il ne manque pas de blâmer le premier ministre canadien Justin Trudeau et les Big Tech et de féliciter les camionneurs. Quant à Marjorie Taylor Greene qui n’en n’est pas à un excès près a déclaré que le site GoFundMe qui a interdit l’accès aux membres du mouvement qu’elle a qualifié de « corporate communists ». Sans parler de l’intervention du sénateur du Kentucky Ron Paul, pourfendeur professionnel du Dr Fauci (voir ci-dessous).
Dans une récente tribune publiée dans le New York Times, Paul Krugman, prix Nobel d’économie, fait une comparaison entre ce mouvement et celui de Black Live Matters il y a deux ans et le convoi de la liberté. En bloquant le pont Ambasssador, une voie commerciale majeure entre le Canada et les Etats-Unis. L’économiste reprend une estimation selon laquelle le coût direct et indirect (en obligeant les camionneurs à faire un long détour) de ce blocage peut être estimé à quelque 300 millions de dollars par jour. Combiné à la paralysie d’Ottawa, on pourrait évaluer à un coût de 2 ou 3 milliards de dollars. Un chiffre qui peut être comparé à celui qu’avaient compilé les assurances pour les destructions liées aux manifestations de Black Lives Matter.
La première initiative est le fruit de quelques milliers de personnes qui manifestaient contre les mesures sanitaires décidées par le gouvernement canadien et considérées comme une atteinte à la liberté (alors qu’elle visait à épargner des vies ; on ne discutera pas ici du bien fondé et de l’efficacité de ces mesures). La seconde avait réuni15 millions de personnes qui protestaient notamment contre la mort de George Floyd par un policier au motif qu’il avait utilisé un faux billet de 20 dollars et plus généralement contre les exactions de la police sur la communauté noire.
La première a été peinte par les médias d’extrême-droite (Fox News, Newsmax, OAN…) comme une « orgy of arson and looting » (orgie d’incendies criminels et de pillages). La seconde est peinte comme une initiative visant à défendre la liberté. Bref, un deux poids deux mesures auquel on est désormais habitué. A noter d’ailleurs que le conseil éditorial (Editorial board) du New York Times a lui aussi publié une tribune plus indéterminée que Paul Krugman dans laquelle elle ne s’ose pas à porter un jugement sur ce mouvement du convoi de la liberté et le présente comme un test de la démocratie (The Ottawa Trucker Protests Are a Test of Democracy).