Le 8 janvier 2021, Le réseau social twitter décide de suspendre “de façon permanente” le compte du futur-ex-président américain. Twitter invoque un risque de nouvelles incitations à la violence. Une décision qui intervient deux jours après l’assaut du Capitole par ses partisans. Cette décision extrême d’une situation pour le moins exceptionnelle montre la place importante que jouent désormais les réseaux sociaux dans le domaine de la politique.
“Nous ne serons pas réduits au silence”, a protesté Donald Trump via le compte officiel POTUS (Président des Etats-Unis), à l’attention des “75 millions de patriotes” qui ont voté pour lui. « Twitter est allé encore plus loin dans le muselage de la liberté d’expression, et ce soir, les employés de Twitter ont coordonné avec les démocrates et la gauche radicale le retrait de mon compte de leur plate-forme, pour me faire taire moi – et VOUS, les 75 000 000 grands patriotes qui ont voté pour moi. »
Il a évoqué des représailles contre le réseau qui “interdit la liberté d’expression” et le possible lancement de sa propre plateforme dans un futur proche. Ces messages ont été immédiatement retirés par Twitter. De tout cela rien n’est arrivé, les velléités que l’on avait prêté à l’ex-président de lancer sa propre plate-forme ne se sont pas réalisées.
Les réseaux sociaux existent déjà depuis plusieurs années (Facebook et Twitter – les deux « principaux suspects », ont été respectivement créés en 2004 et 2006) et ils ont eu jusqu’à ces dernières années, un rôle secondaire dans la vie politique et une influence moins marquée que la télévision. En 2020, ce rôle a littéralement changé de dimension. C’est ce qu’indique le Pew Research Center dans une note intitulée Charting Congress on Social Media in the 2016 and 2020 Elections qui indique que les élections de 2020 ont marqué une augmentation considérable par les politiques dans l’utilisation des réseaux sociaux. L’institut a procédé à une analyse comparative des billets des politiques sur Facebook et Twitter entre le 8 septembre et 8 décembre 2016 et 3 septembre et 3 décembre 2020.
D’abord sur le plan quantitatif. Le nombre de likes/Favoris a augmenté de 586 % entre les 2 élections, celui des partages/retweets de 268 % marquant une participation beaucoup plus grande des lecteurs. Il faut aussi mentionner l’effet indirect des réseaux sociaux sur les médias traditionnels qui ont très largement relayé les tweets des principaux politiques, et tout particulièrement ceux de Donald Trump. Il est vrai que le président n’était pas avare en messages et surtout en messages provocateurs où l’apostrophe le disputait à l’insulte et à l’anathème. Les chaînes d’info en continu telles que CNN et MSNBC, qui n’ont pas caché leur hostilité au 45e président, ont largement fait mention de ses propos. D’ailleurs, Donald Trump ne s’est pas beaucoup servi de Twitter pour son élection, il l’a beaucoup plus utilisé une fois nommé président pour bypasser les médias et s’adresser directement au public (Il avait près de 89 millions de followers lorsque son compte a été fermé ; à titre de comparaison Barack Obama en a 130 millions, Joe Biden 31 et l’animatrice TV Oprah Winfrey 41).
Si l’utilisation des réseaux sociaux est personnelle, le vocabulaire est très différent en fonction de l’appartenance partisane. Ils sont devenus à la fois une arme dans la guerre culturelle et montrent la polarisation qui n’en finit pas d’augmenter entre les deux camps. La majorité des mots utilisés sont des noms communs tels que today, vote, work, community. Mais en 2020, le mot trump a été le plus utilisé par les démocrates. Alors que les mots covid et health font partir du Top10 des démocrates, ils sont absents dans le Top10 des républicains montrant clairement la différence entre les préoccupations des deux camps.
La différence d’utilisation de certains mots clés complète la différence culturelle des deux partis. Ainsi le mot égalité qui est utilisé par la plus large majorité des démocrates (près de 90 %) ne tient qu’une très modeste place chez les républicains (20 %). Il en va de même pour Covid et assurance maladie, très présents chez les premiers, peu chez les seconds (à la 18e et 46e place). A l’inverse, le mot bless est celui qui est utilisé par la plus grande proportion de républicains (son explication n’est pas claire). Viennent en deuxième et troisième position les mots israël et defund. Concernant Israël, Donald Trump avait une relation de grande proximité avec Benjamin Netanyahu ce qui n’empêche pas les juifs américains à voter largement en faveur des démocrates. Concernant le mot defund, il fait référence à l’expression defund the police et à pour objectif de montrer que les républicains sont le parti de la loi et de l’ordre.
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Les principales observations de l’étude§ Donald Trump était un pilier des flux de médias sociaux des élus démocrates en 2016 et 2020.
§ Les élus de chaque parti ont utilisé un langage distinct pour dialoguer avec leurs électeurs sur les réseaux sociaux.
§ Les termes et sujets clés sont associés à une augmentation de l’engagement du public lorsqu’ils sont utilisés dans les publications des législateurs sur les réseaux sociaux.
§ Une part en baisse des publications des élus contient des liens vers du contenu extérieur, et cette tendance est largement due aux habitudes de publication des membres républicains sur Twitter.
§ La « polarisation des liens » est en augmentation, car une proportion croissante des domaines populaires sont partagés principalement ou exclusivement par les membres d’un même parti.Comment le laisser-faire sur les réseaux sociaux permet aux nationalismes populistes de propager la haine et le mensonge. Cette enquête dévoile la partie immergée de l’iceberg “fake news” dans quatre pays “écoles” : États-Unis, Inde, Brésil et Italie.
Il y a quinze ans encore, on percevait les réseaux sociaux comme un ferment démocratique nouveau qui, en favorisant la diffusion de l’information et la communication horizontale entre citoyens, aiderait les peuples à briser leurs chaînes, de l’Europe orientale au monde arabe. L’histoire s’est écrit autrement :
– l’assaut sur le Capitole des partisans de Donald Trump,
– le règne chaotique de son homologue Jair Bolsonaro,
– les offensives ciblant les musulmans dans l’Inde de Narendra Modi
– ou le succès fulgurant des mots d’ordre racistes du leader de la Ligue italienne Matteo Salvini
ont mis en évidence le pouvoir dévastateur à l’échelle planétaire des appels à la haine et de la désinformation qui circulent en temps réel sur les médias sociaux.Au travers de ces quatre cas d’école, Philippe Lagnier et Alexandra Jousset dévoilent de façon précise et détaillée comment, et avec qui, fonctionne cette vaste fabrique de propagande si difficile à contrer.
Disponible du 28/09/2021 au 10/12/2021