Est-ce que les médias essayent de faire peur pour susciter l’intérêt et doper l’audience ou décrivent-ils une réalité impensable ?
La situation où les Etats-Unis glissent de la démocratie vers un régime autoritaire, voire dictatorial, a déjà été décrite dans plusieurs ouvrages.
Publié en 1935, It can’t happen here de Sinclair Lewis est évidemment inspiré de la situation allemande. Pour mémoire, Sinclair Lewis est marié à la journaliste américaine Dorothy Thomson, correspondante du New York Post à Berlin. Après avoir réussi à obtenir une interview d’Adolf Hitler après huit années d’effort. Après avoir écrit un article à charge (comment faire autrement ?), elle est expulsée d’Allemagne. Lewis Sinclair est le premier écrivain américain à recevoir le prix Nobel (les Français et les Allemands en ont déjà reçu 5). L’histoire du roman dystopique est simple : « le sénateur Berzelius « Buzz » Windrip, un politicien charismatique et avide de pouvoir, remporte les élections présidentielles de 1936, sur la base d’un programme populiste promettant de restaurer la grandeur et la prospérité du pays et d’allouer un revenu annuel de 5 000 dollars à chaque citoyen. Lui-même aime à se décrire comme un champion des valeurs traditionnelles américaines » (Source : « Impossible ici ! »). Tel est planté le décor.
Dans Complot contre l’Amérique publié en 2004, Philip Roth propose une réécriture de l’histoire – l’uchronie pour employer un mot savant – dans les années 1940. Franklin Roosevelt n’a pas été réélu et c’est l’aviateur Charles Lindbergh, sympathisant du régime nazi et membre du comité America First, qui devient président des États-Unis au terme d’une campagne teintée d’antisémitisme. Ici, l’auteur ajoute l’importance de la notoriété et de l’image du candidat qui joue un rôle majeur dans l’élection.
Un peu moins connu que les deux précédents ouvrages, Night of Camp David, Fletcher Knebel retient une trame différente mais tout aussi inquiétante. Le sénateur Jim MacVeagh est convoqué à Camp David par le président Mark Hollenbach. MacVeagh, qui devrait devenir le prochain vice-président de Hollenbach, s’inquiète car Hollenbach montre des signes de paranoïa intense. Il exprime de manière erratique son désir de développer une relation plus étroite entre les États-Unis et l’URSS, et tente de couper les liens avec les alliés américains en Europe. Hollenbach pense que les médias américains conspirent contre lui. MacVeagh est la seule personne qui remarque que l’esprit de Hollenbach s’effondre, car les conseillers présidentiels et les politiciens qu’il tente de mettre en garde l’ignorent. La seule personne en possession de preuves du déclin mental de Hollenbach est sa maîtresse, Rita. Hollenbach soumet MacVeagh et Rita à une enquête du FBI.
La situation actuelle aux Etats-Unis est différente de celles décrites dans ces trois romans mais y empruntent des éléments qui le rendent tout aussi dangereuse. Dans une tribune intitulée Our constitutional crisis is already here publiée le 23 septembre par le Washington Post, le politologue Robert Kagan n’y va pas par quatre chemins :
« The United States is heading into its greatest political and constitutional crisis since the Civil War, with a reasonable chance over the next three to four years of incidents of mass violence, a breakdown of federal authority, and the division of the country into warring red and blue enclaves ».
This is how fascism comes to America
The Republican Party’s attempt to treat Donald Trump as a normal political candidate would be laughable were it not so perilous to the republic. If only he would mouth the party’s “conservative” principles, all would be well.
But of course the entire Trump phenomenon has nothing to do with policy or ideology. It has nothing to do with the Republican Party, either, except in its historic role as incubator of this singular threat to our democracy. Trump has transcended the party that produced him. His growing army of supporters no longer cares about the party. Because it did not immediately and fully embrace Trump, because a dwindling number of its political and intellectual leaders still resist him, the party is regarded with suspicion and even hostility by his followers. Their allegiance is to him and him alone.
(Washington Post – 18 mai 2016)
Précisons que Robert Kagan est un des chefs de file des néo-conservateurs avec Bill Kristol et non un « radical leftist » ou un « communist » qui n’aurait que pour objectif d’effrayer le bon peuple. L’argument est que les élections de 2020 n’ont été qu’un tour de chauffe (qui aurait bien pu réussir) pour préparer celles de 2024. Et les révélations qui apparaissent jour après jour sur la tentative par Donald Trump de subversion des élections de 2020 ne peuvent qu’accréditer cette thèse.
Pour Robert Kagan, il ne fait aucun doute que Donald Trump sera le candidat en 2024. Et les espoirs que son influence et son emprise sur le parti républicain et sur ses supporters se dissipent est illusoire.
Ensuite, les républicains tendance Trump (devenus largement majoritaire non par choix mais pas peut ou obligation) préparent activement leur victoire quels que soient les moyens requis. Le message lancé avant les élections de 2020 selon lequel sa défaite serait synonyme de fraudes, repris après les élections par le refus de concéder le résultat des urnes sème la confusion et instille le doute permettant ainsi toutes contestations. « There is no way they (les démocrates mais aussi les républicains antitrump et les RINO) win elections without cheating » répète-t-il à l’envi. Le fondement même de la démocratie vacille ainsi. Dans l’opération de recall du gouverneur de Californie, le candidat républicain Larry Elder a repris l’argument. Tout ceci crée un climat détestable et transforme dans l’esprit des soutiens de Trump, la prise du Capitole le 6 janvier dernier en une journée patriote. Et puisque les démocrates ont fraudé, tous les moyens sont bons pour invalider les futures élections qui ne seraient pas favorables aux républicains. Et rien ne permet de penser qu’un tel événement, pourtant unique dans l’histoire des Etats-Unis, ne se reproduira pas.
Face à cette menace qui a pu être surmontée, Robert Kagan ne considère pas que les traditionnels Checks and Balances, une réelle séparation des pouvoirs ou chacune des trois branches a un véritable contrôle des deux autres, ont permis de tester la robustesse du système. Il s’en fallu de très peu pour que les institutions vacillent. Ce travail de sabotage entrepris au long cours s’ajoute à un climat délétère marqué par « Suspicion of and hostility toward the federal government; racial hatred and fear; a concern that modern, secular society undermines religion and traditional morality; economic anxiety in an age of rapid technological change; class tensions, with subtle condescension on one side and resentment on the other; distrust of the broader world, especially Europe, and its insidious influence in subverting American freedom ».
Donald Trump a réussi à transformer le soutien de ses supporters en véritable culte de la personnalité. Plus besoin d’idées ou de programme, c’est lui le programme. Comme dans ses anciennes activités professionnelles, il ne fait que vendre son nom et son image comme on vend une marque. Et pour ses supporters, s’attaquer à Trump, c’est s’attaquer à eux. Quant aux républicains « adultes » qui pensaient avoir conclut une sorte de pacte avec Donald Trump, ils en seront pour leurs frais. Ils étaient prêts à supporter ses frasques en échange de quelques mesures – réduction d’impôts, nomination de juges conservateurs, politique restrictive en matière d’immigration et réduction des réglementations. Ils ont perdu tout contrôle sur l’ex-président. « On ne déjeune pas avec le diable même avec une longue cuillère », disait Raymond Barre.
Et Robert Kagan n’est pas isolé dans sa réflexion, Rick Hasen, professeur de droit à l’Université d’Irvine (Californie) vient de publier « Identifying and Minimizing the Risk of Election Subversion and Stolen Elections in the Contemporary United States » destiné à prévenir des risques de subversion pour les prochaines élections et d’organiser une conférence intitulée « Election Subversion : Is American Democracy in Danger ? » dans le cadre du Fair Elections and Free Speech Center qu’il co-dirige avec David Kaye, également professeur de droit à l’université d’Irvine.
Pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, le candidat qui a perdu refuse de concéder l’élection et une fraction importante de son parti le soutient dans ce combat. Les garde-fous qui ont sauvé le système ne seront sans doute plus en place la prochaine. Au-delà de lois plus restrictives rendant plus difficile l’accès aux urnes, les organisateurs garant de la neutralité de l’élection sont peu à peu remplacés par des officiels partisans. Et qu’espérer si un Mike Pence est remplacé par un Kevin McCarthy. L’effort de « voter suppression » se conjugue désormais la « voter subversion ». Rick Hansen précise la différence entre les deux. Le premier point est illustré par une nouvelle loi votée par l’état de Géorgie criminalisant toute personne qui donnerait à une personne faisant la queue pour voter. La subversion est encore plus grave et ne consiste pas à rendre le vote plus difficile mais à manipuler les résultats de telle sorte que les perdants est déclaré vainqueur.
Pour Rick Hansen, il est donc critique que démocrates et républicains s’entendent sur cette question centrale de sécurisation des élections et de légitimation du vainqueur et votent les lois nécessaires pour s’en assurer telles que For The People Act et Freedom to Vote Act. Et que les démocrates fasse sauter le verrou du filibuster si nécessaire.
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