Emmanuel Macron s’est entretenu avec Joe Biden, à la demande de ce dernier précise bien le communiqué publié par la présidence de la République française mais confirmé par le communiqué de la Maison Blanche qui est la version anglaise mot à mot (voir ci-dessous la version française). Une des explications ou justifications de cet accord ou plutôt de la manière brutale et peu amène avec laquelle il a été annoncé est que l’objectif des Etats-Unis était de créer un effet de surprise et de sidération chez les Chinois pour leur faire comprendre la gravité de la situation.
Qu’a obtenu le président français ? Pour l’instant des engagements qui ne sont pas négligeables mais demande bien sûr à être concrétiser. C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu lui-même, Antony Blinken, Secretary of States en déclarant lors d’une conférence de presse en marge de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU à New York : « Nous reconnaissons que cela prendra du temps et beaucoup de travail, et se traduira non seulement par des déclarations, mais aussi des actes ».
Les deux chefs d’état ont décidé de « lancer un processus de consultations approfondies ». On se demande bien pourquoi un tel dialogue n’existait pas avant ce couac entre des alliés soi-disant aussi proches. Rappelons par exemple que le Sénat américain n’a pas encore confirmé les ambassadeurs en France, auprès de l’Union européenne et de l’OTAN ainsi que le sous-secrétaire d’Etat pour les affaires européennes. Des manques dans les rouages diplomatiques qui ont sans doute cruellement fait défaut.
Les Etats-Unis ont rappelé le rôle important que la France jouait dans la zone Indo-Pacifique. Très bien mais au-delà de la déclaration, quelle concrétisation est possible ? Que l’AUKUS s’élargisse à de nouveaux partenaires dans le cadre de l’accord actuel ou d’un accord incluant de nouveaux volets ? Pour l’instant aucune initiative et aucun calendrier n’ont été annoncés. La France a des intérêts à défendre et des atouts dans cette région du monde. « En tant que membre permanent du Conseil de sécurité et puissance de la région avec ses territoires, ses 7000 soldats et ses deux millions de ressortissants, la France à une rôle à jouer dans la région », considère Frédéric Charillon, professeur en sciences politiques (Un dialogue va s’engager, chacun cherche la désescalade – La Croix – 24 septembre 2021). Elle pourrait donc renforcer l’alliance si les membres fondateurs lui ouvraient la porte. Rien ne s’y opposerait. Attendons et voyons. Même si ça fait un peu rafistolage.
Les Etats-Unis ont reconnu l’importance d’une « défense européenne plus forte et plus capable ». Etonnant, là encore, que l’on ait besoin de l’approbation des Américains pour une initiative purement européenne. Mais c’est là une avancée des Américains qui reconnaissent officiellement cette nécessité alors que jusqu’ici ils s’y étaient plutôt opposés. Néanmoins, le plus difficile est du côté des Européens dont certains, proches de la frontière russe, sont très satisfaits avec le parapluie américain et d’autres qui seraient prêts à coopérer mais n’ont pas la force de frappe nécessaire et enfin l’Allemagne qui n’a pas encore surmonté ses démons de l’après Seconde Guerre mondiale et ne souhaite développer ou participer à la création d’une véritable armée.
Dernier point non négligeable, Joe Biden s’est engagé à renforcer le soutien que les Etats-Unis apportent à la France dans son opération du Sahel. Donc, au niveau du discours et des mots, Joe Biden a apporté des gages maintenant il reste à les concrétiser.
Dans une interview au Figaro, Pierre-Eric Pommellet, Pdg de Naval Group, affirme qu’il s’agit là d’une décision purement politique et qu’il n’y avait aucun manquement sur le plan technique et commercial de la part de son entreprise (« Tous les voyants étaient au vert »). Même les dépassements budgétaires de 35 à 56 milliards d’euros sont liés à la réévaluation ses besoins à 12 sous-marins contre 8 initialement et aux exigences des Australiens qui ont évolué, notamment dans la cybersécurité. Ce revirement de dernière minute est sans aucun doute lié à la pression exercée par les Américains sur les Australiens mettant dans le même panier le contrat des sous-marins et l’alliance technico-militaire. Mais comme le rappelle Ben Judah, senior fellow au centre européen du Think tank Atlantic council, le très francophile ex-Premier ministre australien Malcolm Turnbull était une exception. Le très anglophile Scott Morrisson a replongé l’Australie dans ses penchants habituels (Il a privé la France du “contrat du siècle” : qui est Scott Morrison, le Premier ministre australien ?) tournés principalement vers l’Angleterre et le Commonwealth.
Quant aux anglais qui constituent la troisième roue de ce carrosse (« la cinquième » selon Jean-Yves Le Drian), ce sont les plus « faux-culs » des trois. Dans la foulée du Brexit, le Royaume-Uni de Boris Johnson a ouvert ses bras aux Américains en faisant un pied de nez aux Européens. Deux jours après sa conversation avec Joe Biden, Emmanuel Macron s’est entretenu avec le Premier ministre anglais Boris Johnson qui a osé lui proposer « rétablir une coopération entre la France et le Royaume-Uni, conforme à nos valeurs et à nos intérêts communs (climat, Indo-Pacifique, lutte contre le terrorisme etc.) » (« Crise des sous-marins : Boris Johnson propose à Emmanuel Macron de « rétablir une coopération »). Emmanuel Macron lui aurait répondu qu’il attendait les propositions. « On connaît l’opportunisme permanent » des Britanniques, avait ajouté le ministre français des Affaires étrangères le 19 septembre. Mais là rien de nouveau. De Gaulle en son temps avait un avis très clairvoyant sur le sujet. En 1963, il avait dit non à l’Europe. Un peu plus tard, il est revenu sur cet avis mais un peu contraint et forcé. On connaît la suite.