Si Donald Trump a souvent été présenté comme un (in)digne successeur d’Andrew Jackson, Joe Biden semble emprunter une voie qu’avait défriché Franklin Roosevelt. Bien sûr, de telles comparaisons doivent être faites avec précaution tant les époques sont différentes. Comment comparer les Etats-Unis de 1830 qui n’étaient qu’une puissance naissante encore en construction, sortant de la période des « bons sentiments » de James Monroe avec ceux de 2016 où leur rang de puissance établie depuis plusieurs décennies est de plus en plus disputé par la Chine.
De même, les deux périodes des deux présidents, Franklin Roosevelt d’une côté et Joe Biden de l’autre, sont tout aussi différentes même si elles ont des points communs dont la montée des régimes autoritaires dans le monde, du nationalisme et du populisme.
Donald Trump avait engagé les États-Unis dans une direction nouvelle et sa politique étrangère était purement transactionnelle correspondant à sa vision du monde (tout n’est qu’échanges qui doivent se solder par des gagnants et des perdants) et son expérience professionnelle dans l’immobilier. Tout au moins des premières années car à partir des années 2000 et la période de The Apprentice, son modèle économique est devenu principalement fondé sur la vente de la marque Trump. Dès son arrivée, il a prétendu vouloir « drain the swamp » à l’intérieur et faire de l’ « America First » à l’extérieur (qui s’est traduit par America Alone). Parmi ses faits d’armes on peut citer : Dénonciation des alliances, remise en question de l’OTAN, retrait des grandes institutions internationales dont l’OMS en pleine pandémie (il faut oser), des accords de Paris sur le climat, nucléaire iranien. Il s’est senti inspiré par les régimes autoritaires (Brésil, Russie, Philippines, Hongrie, Inde, Arabie Saoudite (l’épisode Jamal Khashoggi est troublant), a nié le dérèglement climatique (la promotion du « clean coal » est du même ordre que l’utilisation de l’eau de javel pour traiter la Covid) et n’a eu de cesse de minimiser l’épidémie.
En réaction à son prédécesseur, Joe Biden s’est rapidement attaché à donner une forte impulsion pour engager les États-Unis dans une nouvelle direction en dessinant une politique étrangère que Daniel Deudney, professeur de sciences politiques à l’Université John Hopkins et John Ikenberry, professeur de politique internationale à l’université de Princeton, qualifie de Rooseveltienne (The Intellectual Foundations of the Biden Revolution – Why is there no Rooseveltian school of foreign policy? American past and future greatness is unthinkable without it – Foreign Policy), même si, curieusement, aucune école de politique étrangère ne porte le nom du président démocrate.
Alexander Hamilton, Thomas Jefferson, John Quincy, James Monroe, Andrew Jackson, Woodrow Wilson sont des présidents qui ont donné leur nom à des écoles de pensée. Quant aux écoles en “isme”, les auteurs mentionnent le néoconservatisme (on a vu les effets dramatiques avec la guerre en Irak), le réalisme, l’isolationisme, l’anti-impérialisme, l’idéalisme et l’internationalisme libéral.
Le nouvel ordre politique mondial poussé par Roosevelt a été forgé par la Grande Dépression, la Deuxième Guerre mondiale, deux événements plutôt structurant. Sur le plan international, pendant les 12 années de ses quatre mandats (le quatrième a été abrégé très rapidement), les États-Unis sont passés du rang de puissance régionale à celui de superpuissance mondiale au sortir de la guerre tant sur les plans militaire, économique et diplomatique. La conférence de Yalta devait organiser la fin de la guerre, la création des institutions internationales (ONU[1], Banque mondiale, FMI, GATT devenu WTO) allaient poser les jalons de la paix et de la reconstruction. Pour Roosevelt, l’isolationnisme n’était plus adapté à un monde de plus en plus interdépendant.
Comme son prédécesseur démocrate Barack Obama qui avait été confronté à la crise des subprimes de 2008, transformée en crise économique et financière, Joe Biden est arrivé aussi dans une période plus que difficile avec la crise de la Covid qui s’est transformée en crise économique et sociale. Dès son arrivée à la Maison Blanche, il a été face à des dossiers assez « classiques » comme la fin de la guerre en Afghanistan (la plus longue à laquelle les États-Unis ont participé), le Moyen-Orient, l’Iran, le conflit israélo-palestinien, la Russie de Poutine (la conférence commune de Donald Trump et Vladimir Poutine reste un cas d’école). Mais il est confronté aussi à nombre de problèmes ne peuvent pas être traités seulement au niveau des pays, le terrorisme, la prolifération des armes nucléaires, les excès de la mondialisation, le phénomène des migrations, la question de l’eau, la montée en puissance des sociétés du numérique et la protection de la vie privée et des données personnelles… sans parler des 3C : Covid, Climat et Chine.
Face à ces questions, l’isolationnisme n’est plus adapté pour les traiter efficacement et durablement. Des problèmes qui dépassent de loin le seul cadre des frontières même si dans de nombreux cas, les frontières restent toujours un paramètre important. On l’a vu lors de la crise sanitaire. Ou encore sur les questions du cloud computing et la nécessité de stocker les données dans le pays d’origine.
Et même sur la question de la Chine pour laquelle Donald Trump ne voyait qu’une confrontation entre deux pays, Joe Biden va essayer d’embarquer les alliés traditionnels dans un partenariat global visant à freiner les ardeurs de l’Empire du Milieu. Même s’il n’a pas pour l’heure remis en cause les droits de douanes imposés par Donald Trump, Joe Biden a bien compris que la réponse se trouvait dans une réactivation de la R&D dans les technologies avancées, pas seulement du numérique. La loi américaine sur l’innovation et la concurrence de 250 milliards de dollars pourrait aider votre entreprise. Le 7 juin dernier, le Sénat américain a adopté la loi américaine sur l’innovation et la concurrence (Usica), un projet de loi de 250 milliards de dollars pour financer la recherche dans des domaines dans des domaines comme les semiconducteurs, l’intelligence artificielle, la robotique, l’informatique quantique. C’est là une différence majeure avec son prédécesseur, la croyance en la science, qui le situe dans la lignée de Franklin Roosevelt.
[1] Roosevelt partit le 30 mars pour Warm Springs, une petite station thermale de Géorgie où il avait une résidence (la « Little White House ») afin de prendre du repos avant la conférence des Nations unies qui devait se tenir deux semaines plus tard à San Francisco. Il mourut juste avant, le 12 avril 1945.