Les résultats des Caucus du Nevada sont impressionnants. Bernie Sanders devrait gagner 46 % des voix (le dépouillement n’est pas terminé) écrasant tous ses opposants, y compris Joe Biden qui n’est qu’un lointain second avec 19 % des voix dans un scrutin qui a rassemblé 100 000 électeurs sur un état qui compte 3 millions d’habitants. Le socialiste proclamé fait un score aussi élevé qu’en 2016 alors qu’il n’était opposé qu’à Hillary Clinton. Il a réussi à capter 27 % des voix des Noirs et 53 % des Hispaniques et gagne dans tous les groupes d’âge à l’exception des plus de 65 ans démentant l’idée qu’il est seulement l’égérie des étudiants et des jeunes diplômés.
Après le Nevada, certains candidats devraient annoncer qu’ils se retirent clarifiant encore un peu plus la compétition. Le résultat de la Caroline du Sud où il n’avait réuni que 26 % des suffrages en 2016 donnera une bonne indication de son emprise sur l’électorat démocrate. Et le Super Tuesday, le 3 mars prochain, montrera si Michael Bloomberg a quelques chances de gagner un pari osé. Si Joe Biden se maintient, il jouera alors en faveur de Bernie Sanders.
La Une du Las Vegas Sun fait mention de la nouvelle implication russe dans ces élections. Il semblerait que le pays de Poutine pousse deux pions, Bernie Sanders et Donald Trump. On savait pour ce dernier puisque c’était déjà le cas en 2016. Bernie Sanders a lui-même indiqué que son équipe de campagne avait été informé de ces initiatives. Sa réponse est claire : « here’s the message to Russia: stay out of American elections (…) And what they are doing, by the way, the ugly thing that they are doing, and I’ve seen some of their tweets and stuff, is they try to divide us up. That’s what they did in 2016 and that is the ugliest thing they are doing — is they are trying to cause chaos, they are trying to cause hatred in America ».
L’objectif des Russes pourrait être double. D’abord, déstabiliser les États-Unis et son système politique. Ensuite, favoriser l’élection d’un candidat dont elle aurait la préférence. En 2016, c’était Donald Trump qui a bien retourné la pareille. La conférence tenue à Helsinki avec le maître du Kremlin dans lequel le président des États-Unis ne pouvait pas choisir entre ses services d’intelligence et la Russie était un beau cadeau. Dans son meeting de campagne, Donald Trump a voulu en profiter en présenter Bernie comme un agent de Moscou. Un comble pour celui qui a été élu avec l’aide des Russes en 2016. Mais cela, il l’a toujours nié. La vérité est ce que Donald Trump énonce, mais ce qui est réellement arrivé.
Pourquoi favoriser Bernie Sanders ? L’idée qui pourrait venir à l’esprit que, pour les Russes, Donald Trump battrait aisément Bernie Sanders. Mais, à ce stade, il ne s’agit que de pures spéculations. La seule chose qui est sûre est que les Russes sont déjà entrés en plein dans la campagne américaine de 2020. En témoignant devant le Congrès, Directeur du renseignement national, Joseph Macguire, en a fait les frais en étant limogé par Donald Trump. Pour avoir dit une vérité dérangeante.
Les feux croisés des attaques dont il a été la cible lors du 10e débat qui s’est tenu dans la ville de Charleston en Caroline du Sud donnent l’impression que sa candidature est en train de solidifier dans l’esprit de ses opposants. Tous n’ont pas hésité à le présenter plus ou moins comme le candidat de l’apocalypse. En essayant de faire le message simple qu’il n’est pas le candidat capable de battre Donald Trump. Mais aussi en décrivant le match Sanders-Trump comme un combat de maîtres du chaos.
C’est d’ailleurs le sens de l’initiative du Greenville Tea Party baptisée Operation Chaos appelant les électeurs républicains à voter Bernie Sanders dans la primaire de Caroline du Sud. Il faut rappeler que cette primaire est ouverte et que donc tout le monde peut voter. Voter Sanders pour ce groupe revient à favoriser un candidat qui, de leur point, sera le meilleur opposant à Donald Trump en lui donnant la victoire.
Bernie Sanders ne cache pas ses positions et ne cherche pas à louvoyer en se présentant comme socialiste et à le revendiquer. A en faire une marque distinctive. D’ailleurs, s’il ne le faisait ses opposants le lui rappelleraient gentiment ou plutôt perfidement. A-t-il raison de le faire ? Telle est la question posée à Paul Krugman, prix Nobel d’économie, et Richard Wolff, professeur émérite d’économie à l’Université du Massachusetts à Amherst et actuellement professeur invité au programme d’études supérieures en affaires internationales de la New School University à New York, qui se revendique d’un socialisme rénové. Tous deux soutiennent le programme de Bernie Sanders mais le premier pense que l’étiquette lui nuit alors que le second la considère parfaitement justifiée.
Pour l’heure, les forces qui pourraient s’alarmer et se mettre en mouvement contre Bernie Sanders, au premier rang desquels la finance et les représentants de Wall Street, restent plutôt silencieuses. La raison ? « Jusqu’ici, ils pensent qu’il ne peut pas gagner » explique Jim Bianco, président de Bianco Research (Wall Street Gives Bernie Sanders a Pass…for Now), cité par le magazine Businessweek. « Ils le considèrent comme une version américaine de Jeremy Corbyn ». Mais il ne fait aucun doute que des mécaniques d’opposition se mettent en mouvement si cette candidature prenait de la consistance.
Les élections de 1896 qui opposaient le républicain William McKinley et le démocrate William Jennings Bryan constituent un cas d’école. Mariane Debouzy nous le rappelle dans son livre intitulé Le capitalisme sauvage aux États-Unis 1860/1900. Les pressions du big business s’exercèrent directement et avec force sous la forme de menaces et de chantages : fermeture d’usines, prolongation d’hypothèques. Les 3000 employés de l’usine de fer Jones et McLaughlin furent contraints de donner 1 dollar chacun au fonds du parti républicain. La compagnie Goodyear envoya un avertissement clair à ses employés : « Les actionnaires et les responsables de la Compagnie de caoutchouc Goodyear désirent qu’il soit bien compris qu’un vote pour Bryan et Sewall, de la part des employés, sera considéré comme un acte directement dirigé contre la prospérité de la compagnie et de son personnel, et tout employé agissant ou votant pour le programme mentionné plus haut lors de la prochaine élection doit s’attendre à être considéré par les dirigeants comme hostiles à la Compagnie » (History of the Labor Movement in the United States, Philip Foner, New York, 1955, vol II p. 339-340).
Bernie Sanders qui a le sens de la formule a conclu son intervention par une citation de Nelson Mandela : « Everything is impossible until it happens ».