« On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » dit-on couramment. A l’occasion du procès d’impeachment qui se tient actuellement au Sénat, les républicains ont poussé un peu plus la maxime en la transformant en quelque chose comme : « Ce n’est pas important de ne pas avoir soif ». Le parti républicain est devenu le parti de Trump, on le sait et le dit couramment, mais la transformation ne s’est pas faite en un jour.
Car entre cette transformation et l’accession de Donald Trump, on ne sait pas trop quelle est la cause et quel est l’effet. Newt Gingrich dans les années 90, Sarah Palin, une sorte de Trump avant l’heure, mais seulement dans le rôle de postulante à la vice-présidence, le Tea Party né de la crise de 2008 et voulant renverser la table et revenir un passé mythique qui n’a existé que dans leurs esprits, les conditions se sont peu à peu mises en place pour l’arrivée de Donald Trump avant même que le parti s’en aperçoive. Il y a bien eu un mouvement de résistance, une sorte de Tout Sauf Trump en dernier ressort. Et puis Donald Trump a été élu et le parti républicain est tombé comme un fruit mûr pour devenir une chambre d’enregistrement des décisions et des foucades du chef.
Pour l’heure, le déroulement de ce procès sonne comme une sorte d’officialisation d’un nouveau parti qui garde le nom, mais change assez radicalement de contenu programmatique. Certes, il y a toujours les positions sur les questions de société qui ne changent pas d’orientation : l’avortement, le mariage homosexuel, les LGBT, la situation des minorités, la régulation des ventes d’armes, la religion… En revanche, où sont les positions sur la rigueur fiscale – le déficit devrait dépasser 1 000 milliards de dollars en 2020 -, le libre-échange mondialisé, le rôle des Etats-Unis dans les affaires du monde – America First est devenu America Alone.
Alors qu’on aurait pu penser un moment qu’il y aurait assez de sénateurs pour compléter le vote des démocrates à appeler des témoins, il semblerait que cette hypothèse s’éloigne de plus en plus. Il ne fallait que 4 sénateurs républicains pour arriver au seuil fatidique de 51. Mais la pression semble trop forte d’autant que certains comme Susan Collins vont aller devant les électeurs en novembre prochain dans des conditions difficiles. Mitch McConnell devrait donc réussir son pari d’expédier ce projet dans des délais records et de le transformer une simple formalité d’acquittement. Si on arrivait à 50-50, il faudrait donc que le président du sénat départage le vote. La question sera de savoir si c’est John Roberts pendant la période du procès ou le Vice-Président Mike Pence. Peut-être une belle bataille en perspective. Certains sénateurs incluant Ted Cruz et Mike Braun du North Dakota ont également poussé l’idée d’une certaine réciprocité : Bolton en échange de Biden. Une bien étrange proposition, mais qui a l’avantage de mettre les démocrates dans l’embarras, car le témoignage de Biden pourrait apporter de la confusion dans cette affaire et fragiliser le candidat de la primaire démocrate.
Pourtant les révélations sur la publication du livre de l’ancien conseiller à la sécurité nationale auraient pu aiguiser la curiosité des plus récalcitrants. Car dans les différentes lignes de défense des républicains sur l’affaire ukrainienne, la mise en doute des témoignages devant les commissions de la Chambre des représentants, pourtant nombreux et accablants, était largement utilisée. Il ne s’agissait que de ouï-dire, de ragots, au mieux d’informations indirectes rapportés par une succession de témoins qui n’étaient pas présents lors du « perfect call » entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky.
Dans son livre à paraître en mars, John Bolton écrit noir sur blanc ce qui est dit depuis le début de cette affaire et confirme le « quid pro quo ». Que faire ? La Maison-Blanche et les sénateurs républicains qui fonctionnent de conserve s’évertuent à discréditer le dit Bolton. Donald Trump a actionné la boîte à tweets pour s’acharner contre celui. La Maison-Blanche essaie par ailleurs de bloquer la sortie de ce livre. Même Jeff Sessions, l’ancien ministre de la Justice, pourtant renvoyé comme un malpropre par son patron après avoir été rudoyé pendant des mois ne retient pas ses coups contre le conseiller.
Dans les arguments déversés pas l’équipe d’avocats de la défense, le plus extraordinaire est sans doute celui d’Alan Dershowitz, ancien professeur de droit de l’université d’Harvard et présenté comme un juriste de haut vol. En substance, tout ce que fait un président pour sa réélection est fait dans l’intérêt du pays et donc ne peut être matière à impeachment.
Interrogé dans la session des questions & réponses par le sénateur du Texas et ex-candidat dans les primaires républicaines pour savoir si l’existence d’un chantage posait un problème, l’ex-professeur a répondu doctement qu’un quid pro quo ne pouvait exister que s’il y avait enrichissement personnel.
« If a president does something which he believes will help him get elected in the public interest, that cannot be the kind of quid pro quo that results in impeachment ».
Il faut lire et relire la citation pour être sûr de bien comprendre. Car là on dépasse le strict cadre du juridique pour entrer dans un territoire inconnu. Mais ce n’est là un propos qui ne fait que corroborer ce qu’avait dit Donald Trump : « je ne peux être mis en cause, car je suis président. Je fais ce que je veux ». Le système des Checks and Balances qui s’inspire de la Sainte Trinité où l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire sont réunis dans une seule et même personne.